A bicyclette... Et si vous épousiez un ministre ?
critique contradictoire : celle qui consiste à reprocher à l'homme politique
d'être à des années-lumière de leurs préoccupations quotidiennes, parce qu'il a parfois la tête farcie de dossiers ou qu'il aborde des sujets qui les dépassent. Et puis celle qui consiste à juger celui qui se comporte normalement, comme tout le monde, qui reste capable de rire d'une bêtise ou de s'énerver pour une broutille, et qui leur apparaît alors trop « commun », trop « banal ». On leur dénie souvent ce droit d'être à la fois le même et différent...
Les gouvernants qui ont des responsabilités politiques locales — cela est le cas de beaucoup de ministres — sont moins menacés que les autres. Plus les fonctions sont importantes, plus le statut est élevé et plus la vulnérabilité est grande, plus le décalage est fort.
Le départ en vacances d'un Français moyen n'a que peu de chose à voir avec, par exemple, un voyage présidentiel au sommet de la Francophonie à l'île Maurice, couplé à une visite d'Etat au Yémen. Avec une heure de retard à cause du grille-pain qui a brûlé, le premier prend sa voiture pour aller camper sur la Côte d'Azur, s'arrête à l'aller pour prendre un en-cas chez un ami d'enfance et au retour casse la croûte chez un cousin ou dans un restauroute. Entre-temps sa valise a peut-être glissé du toit
de sa voiture, il a pesté dans les embouteillages sur l'autoroute du Sud, et s'est fait verbaliser pour excès de vitesse juste avant d'arriver dans la dernière côte du village.
Le chef de l'Etat, quant à lui, est parti de l'Elysée à l'heure H. Sur son parcours jusqu'au salon d'honneur de l'aéroport, escorté par des motards, il a pu croiser un policier tous les deux cents mètres. Il a foulé le tapis rouge jusqu'à la passerelle de l'avion et la garde républicaine lui a rendu les honneurs. Il s'est envolé ensuite en Concorde de Paris vers l'île Maurice, s'est arrêté à l'aller pour déjeuner chez le roi Fahd d'Arabie saoudite et au retour, en rentrant du Yémen, a fait une pause au Caire afin de dîner avec le président Moubarak.
Il n'est pas sûr, d'ailleurs, que la substance du dîner privé entre deux chefs d'Etat soit sensiblement différente de celle du repas pris entre cousins...
Inhérent à leurs fonctions, le mode de vie de ceux qui nous gouvernent génère, à mon avis, deux risques. Le premier est qu'ils se transforment petit à petit en « assistés permanents », voire en handicapés de la vie civile, à force d'évoluer dans une bulle où les bruits du dehors n'arrivent plus que feutrés et filtrés.
Plus on monte dans la hiérarchie, plus le risque est grand ; plus il est rare d'en prendre conscience et plus il devient difficile de lutter contre le phénomène. Pour la bonne raison que — second risque — le nombre de « couches » placées entre vous et les autres est proportionnel à l'importance de vos fonctions. Le chef de l'Etat est donc, selon moi, le plus vulnérable.
Les quelques voyages que j'ai pu effectuer dans le sillage du président de la République en compagnie d'Alain m'ont permis de recenser au moins trois types de barrages propres à faire perdre à l'homme politique qui n'y prendrait pas garde tout contact avec les réalités de l'existence.
La « première couche » est ce que l'on appelle de façon peu poétique l'entourage, terme générique qui désigne la cohorte de conseillers multiples et variés qui gravitent autour de toute personnalité politique, et qui, on l'aura compris, est numériquement plus important pour un chef d'Etat. Destiné, en théorie, à « entourer » la personnalité et donc à l'aider dans la compréhension du monde, l'entourage, en fait, peut l'étouffer. A trop vouloir protéger, il forme un sas hermétique. Sur les qualités intrinsèques de ce sas, sur le phénomène de courtisanerie qui s'y développe
comme dans un bouillon de culture, on a déjà largement glosé, disserté... et romancé. Je ne me risquerai donc pas à décortiquer le phénomène. Mais en observatrice privilégiée, j'ai tout simplement remarqué quelques attitudes répandues et révélatrices : on chuchote à l'arrivée du président, on baisse le ton sur son passage, on se fige lorsqu'il descend l'escalier, on se range presque au garde-à-vous pour recueillir son bonjour. « Les membres de l'entourage » s'agglutinent auprès de lui comme une colonie de sangsues, on essaie de capter son regard pour repartir illuminé si
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