A bicyclette... Et si vous épousiez un ministre ?
« N'est-il pas vrai que le danger de la vie passionnante que tu mènes est de voir imperceptiblement ses chevilles gonfler ? Danger d'autant plus grand que d'en avoir conscience ne suffit pas du tout à l'éviter. Il y a tellement de gens intelligents qui ont pourtant la " grosse tête ". A mon humble avis, le plus sûr moyen d'éviter l'écueil est de garder le plus possible des habitudes antérieures au changement de situation radical que tu connais. Il faut accepter l'idée que tu es la plus mal placée pour savoir
l'effet réel qu'a sur toi la vie extraordinaire que tu mènes. Il n'y a que tes proches, ou tes vrais amis, si tu les vois assez souvent, qui peuvent te le dire. Ce sont des balises qu'il ne faut surtout pas perdre de vue... » Dont acte.
Au fait, depuis quand Alain n'a-t-il pas lui-même acheté ses confitures ?
Chapitre VIII
L'Europe, l'Europe, l'Europe
Dans l'univers particulier de la diplomatie européenne, il existe une étrange bête baptisée Gymnich. Non pas schmilblick, mais Gymnich. Mon premier Gymnich eut lieu en Belgique, près de la citadelle d'Alden Biesen et de la petite ville d'Hasselt, par un week-end vaporeux de septembre 1993. Définition du Gymnich : réunion informelle des ministres des Affaires étrangères de la Communauté européenne, accompagnés de leurs épouses. Gymnich est tout simplement le nom de l'endroit où s'est tenue la première réunion de ce type. C'était près de Bonn, en Allemagne, en 1974. Le principe est relativement simple. Le pays organisateur est celui qui assure la présidence de la communauté. En raison du système de présidence tournante, les Gymnich, ou les « informels », ont donc lieu tous les six mois dans un pays différent. La Grèce a
pris la relève en janvier 1994 et le tour de la France viendra au début de l'année 1995.
Le ministre des Affaires étrangères du pays qui préside la communauté invite donc ses collègues ainsi que le président de la Commission — actuellement Jacques Delors —, tous avec épouses, dans un lieu agréable de son pays : vieux château, abbaye, hôtel de campagne, ancienne citadelle, île... Bref, un endroit sympathique dont les « malheureux » ministres ne voient pas grand-chose car la base du Gymnich reste quand même le travail. L'affaire dure le temps d'un week-end, à peine, du samedi midi au dimanche après le déjeuner. Pendant que les ministres s'enferment pour travailler, les dames, munies du traditionnel spouses program, font du tourisme ou s'instruisent en visitant musée, atelier de poterie, centre de recherche médicale et autres merveilles locales ou artisanales... Le soir, un dîner réunit maris et femmes. Parfois, le souper est précédé ou suivi d'un spectacle. A table, tout le monde est placé. Aucun des ministres n'a sa conjointe avec lui, ce qui donne à chacun l'occasion de découvrir que l'épouse de son pire interlocuteur de la journée, le plus intransigeant, celui qui a pris des positions diamétralement opposées aux
siennes et qu'il rêve en secret d'étrangler, est tout à fait charmante... ou que celui qu'il admire, au contraire, pour ses positions nuancées et subtiles, a une compagne exubérante, aux idées plus qu'arrêtées. Le lendemain matin, petit déjeuner en commun mais en « stabulation libre ». Les uns et les autres s'installent au hasard, en fonction de l'heure du réveil, des affinités de la veille au soir ou tout simplement de la place disponible. Puis le travail reprend pour les messieurs, et les visites pour les dames. Un dernier « lunch all together and see you next time ».
Au départ, ces réunions devaient vraiment être informelles, mais la presse a assez vite sauté sur cette nouvelle occasion de déployer ses talents. Il y a désormais dix fois plus de journalistes que de ministres ! Le principe reste néanmoins le même : ne prendre aucune décision officielle et se livrer à un vaste tour d'horizon des questions cruciales du moment. Ce qui donne un caractère un peu académique aux points de presse que, sollicités par les media et requis par leurs conseillers, les ministres doivent tenir devant les journalistes en quête de « grain à moudre ».
Je me rappelle le premier verre pris tous ensemble, maris et femmes, à l'apéritif du
déjeuner, un samedi midi en Belgique. J'étais un peu intimidée à l'idée de rencontrer mes homologues, ce qu'en anglais on appelle les opposite numbers. Mes craintes se sont vite dissipées car elles
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