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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Welch
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l’herbe sèche craquer sous ses pieds, humer l’odeur du givre qui commençait à fondre et les effluves musqués cependant qu’il mettait sa bride à Grand Coureur en prévision de la journée de chasse qui s’annonçait.
    Le tintement de la cloche de la petite église située à une rue de là le rappela à la réalité, une réalité pas trop déplaisante, d’ailleurs. Aujourd’hui, il ne travaillait pas, ce qui comptait davantage pour lui que l’aspect religieux. Depuis quatre ans qu’il était ici, il n’avait eu comme congés que les jours de Noël et de Pâques. Les autres jours fériés, alors que de nombreux ouvriers restaient chez eux, il continuait à entretenir le feu sous les cuves en fonte. Il préférait encore cela plutôt que d’errer dans les rues désertes.
    Il jeta un coup d’œil sur la montre de poche posée sur le tabouret à côté du lit. Sept heures et demie. Il se souleva sur un coude pour vérifier. Cela faisait des mois qu’il n’avait pas dormi si tard. Sa première idée fut de sauter du lit, d’avaler un bol de soupe avec un peu de pain, puis d’aller faire une longue promenade, peut-être jusqu’à la plage en bas de la Corniche. C’était toujours fascinant, et un peu triste, de regarder les bateaux prendre la mer en direction d’autres ports – des ports d’Amérique ? – ou de suivre des yeux les petites barques de pêche ballottées par les courants, pareilles à de minuscules épaves, et entourées d’un halo argenté. Oui, ce serait agréable, mais il avait des obligations, des obligations auxquelles il se soumettait avec de plus en plus de réticence à mesure que les années s’écoulaient.
    De son lit, il distinguait un carré de ciel bleu au-dessus de l’immeuble de l’autre côté de la rue. Entendant un enfant crier quelque chose, il songea que pour celui-ci, il s’agissait d’une journée comme les autres. Il était en effet d’une famille de Nord-Africains, des païens comme disait René. Aujourd’hui, Charging Elk les enviait. Un deuxième enfant répondit. Le jeune Indien pensa à la fille de la rue Sainte, et il se demanda comment elle allait passer cette journée de fête.
    La vieille mère de René, veuve depuis longtemps, assistait au repas de Noël, de même que les parents de Madeleine qui étaient relativement plus jeunes. Charging Elk aimait bien madame Soulas mère, une petite femme toute menue au nez proéminent, toujours vêtue d’une robe noire informe et coiffée d’un chignon disparaissant sous un châle noir. Elle habitait au coin de la rue et venait dîner chez son fils tous les vendredis soir. Elle n’avait jamais éprouvé la moindre peur, ni même la moindre appréhension, en présence de l’Indien. Dès le début, elle avait manifesté pour lui un grand intérêt et s’était mise à s’adresser à lui comme s’il pouvait la comprendre. Quand Madeleine lui expliqua qu’elle avait affaire à un sauvage qui ne parlait pas provençal et ne possédait que quelques mots de français, elle recourut à une espèce de langage des signes que Charging Elk trouvait en général tout aussi obscur. Les rares fois où une lueur de compréhension brillait dans le regard du jeune Indien – par exemple le jour où, après l’avoir désigné, elle avait fait un V renversé avec l’index et le majeur d’une main, puis de l’autre, agitant ensuite les doigts pour figurer un homme à cheval –, elle partait d’un petit rire aigu mais néanmoins sincère, et recommençait son manège, riant jusqu’à en avoir les larmes aux yeux. Elle se remettait alors à bavarder dans cette langue étrange qui n’était pas du français mais du provençal, comme s’il existait entre eux une complicité scellée par une bonne blague au sujet des autres membres de la famille.
    Naturellement, Charging Elk ne comprenait pas un traître mot de ce qu’elle racontait, mais il partageait de manière confuse sa gaieté. Les parents de Madeleine étaient bien différents. Ils venaient beaucoup moins souvent – au cours des deux ans qu’il avait passés chez les Soulas, Charging Elk les avait vus à peine une dizaine de fois. Ils s’installaient avec raideur sur le canapé ou sur leurs chaises autour de la table et, en bons citoyens, ne parlaient que français, bien que tous deux fussent originaires du Midi. Ils étaient très attachés à Mathias et à Chloé à qui ils apportaient des cadeaux coûteux, leur caressant maladroitement la tête

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