À La Grâce De Marseille
avait maintenant ce grand homme brun qui l’avait touchée, et cela de plus d’une manière. C’était sans nul doute un doux géant, ce qui la changeait de ses clients habituels, de vrais animaux en rut qui semblaient prendre plaisir à l’étouffer à moitié. Lui, au contraire, il était timide et s’était montré plein de délicatesse pendant qu’ils faisaient l’amour, pesant à peine sur elle tandis que sa poitrine lisse effleurait le bout de ses seins. Bien que cette fois elle n’eût pas joui, trop consciente du contact froid du camée contre sa gorge, elle avait ressenti une pointe de déception lorsqu’il s’était retiré d’elle, ce qui l’avait étonnée davantage encore que l’orgasme qu’elle avait connu avec lui. Elle avait rarement éprouvé quoi que ce soit pour un homme, et surtout pas de la déception en ne le sentant plus en elle. Qu’il s’agisse d’un étranger bizarre à la peau si sombre, voilà qui la troublait. Elle avait toujours estimé avoir de la chance de travailler dans une maison qui n’acceptait pas les étrangers, et en particulier les Noirs. Alors… qu’est-ce que cela voulait dire ?
Elle soupira. Rien, cela ne voulait rien dire, pensa-t-elle, soulagée d’être redescendue sur terre. C’était un client comme les autres. Il lui avait offert un cadeau, il avait couché avec elle et il était parti, probablement rejoindre sa femme en se sentant peut-être un peu coupable mais ravi d’avoir tiré son coup. Marie savait que certains hommes avaient besoin de putains, et elle était là pour satisfaire ce besoin. Leurs épouses étaient bien trop convenables pour les laisser se jeter sur elles, suant et excités comme des bêtes. Celui-là manifestait simplement un peu plus de considération que les autres.
Marie se leva et ôta sa robe de chambre qu’elle drapa sur la tête de lit, puis elle s’agenouilla devant la commode pour ouvrir le tiroir du bas où elle rangeait ses petites affaires – sa trousse à couture, une pile de lettres rédigées pour ses parents par le maître d’école et qu’elle ne pouvait pas lire, un sac à main orné de perles ayant appartenu à sa grand-maman, trois petits santons qu’elle posait sur la commode à l’époque de Noël et sa bible à la couverture blanche. Elle avait décidé de ne plus regarder le camée et, alors qu’elle glissait l’écrin de velours dans le tiroir, elle se rappela que l’homme lui avait demandé son nom. « Marie », avait-elle dit, et il l’avait répété à plusieurs reprises, comme pour le mémoriser. Jamais elle n’avait entendu prononcer son nom avec un tel accent de vénération.
Elle se souvenait également qu’au moment où il s’apprêtait à sortir, elle l’avait rappelé : « François. » Et lorsqu’il s’était retourné sur le seuil, elle avait ajouté : « Merci, François. » Cela aussi constituait une première. Jamais elle n’avait remercié un client pour quoi que ce soit. Même quand ils lui laissaient un petit pourboire sur la commode, elle préférait conserver un silence réservé.
Marie avait beau tenter de faire preuve de cynisme, elle savait que, curieusement, François l’intéressait. Tandis qu’elle se tournait pour éteindre la lumière, se couchait et se pelotonnait entre les draps froids, elle se demanda à quoi pouvait ressembler son appartement, quel effet cela ferait d’y être et, qui sait, de se réveiller le matin à ses côtés. Malgré ce qu’elle s’efforçait de croire, elle se doutait bien qu’il n’était pas marié. Alors, quel effet cela ferait… de se réveiller à côté de lui ?
Elle ferma les paupières et pensa au magnifique camée. C’était le premier véritable cadeau qu’elle recevait d’un homme qui n’avait pas d’attaches avec elle. Qu’est-ce qu’il pouvait bien lui vouloir ?
12
Depuis maintenant trois mois, Charging Elk voyait Marie une fois par semaine. En ce début de soirée, assis sur le banc devant sa fenêtre ouverte, il cirait ses chaussures marron qui n’avaient jamais retrouvé leur lustre et leur souplesse après le soir où elles avaient pris l’averse. Il aurait voulu que les choses fussent un peu différentes. D’abord, il vivait désormais au jour le jour, sans plus songer à faire d’économies. Il s’achetait du vin, mangeait dehors plus souvent, portait chaque semaine ses chemises à laver et à repasser, faisait des cadeaux à Marie, encore que moins coûteux que le
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