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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Welch
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blanches, baissa brusquement les yeux, blessée par la cruauté contenue dans sa question. Contemplant alors ses propres mains si grossières, ses doigts courts et trapus, elle se sentit soudain toute gauche et lourdaude. Une petite flamme s’alluma en elle : non, elle n’avait pas toujours fait la putain. Un jour, elle avait été à Fontaine-de-Vaucluse et avait vu l’eau sourdre mystérieusement de la grotte, et puis elle avait été trois ans à l’école, avait joué avec ses sœurs, cueilli des melons et des cerises, flirté avec un garçon de la ferme voisine, croqué des graines de pavot et rêvé d’amour, d’avoir un jour des enfants, de mener une vie simple et heureuse. Aujourd’hui encore elle rêvait à cette vie, mais elle ne voyait devant elle que des rues sombres et désertes, sans nulle part où aller.
    « Eh bien ?
    —  Oui, monsieur. Mais pas toujours. »
    L’homme éclata d’un rire cristallin, mais sans joie, un rire qui évoquait le carillon qu’elle entendait parfois sonner dans la nuit et qu’elle n’était jamais parvenue à localiser.
    Elle leva les yeux sur le visage au teint pâle. L’homme semblait regarder quelque chose derrière elle. Instinctivement, Marie se retourna. Olivier s’était écarté du bar et, les mains croisées sur sa bedaine, il affichait une étrange expression de fureur.
    « Alors, Marie, pouvons-nous maintenant monter dans votre chambre ? »
    Elle eut soudain envie de s’enfuir, de monter en effet dans sa chambre, mais pour s’y enfermer, se glisser sous les couvertures et dormir d’un sommeil sans rêves. Elle n’avait aucune idée de ce que cet homme pouvait lui vouloir, mais sur son visage aux traits fins et séduisants, elle avait vu les yeux devenir froids et les lèvres prendre un pli dur, comme si sa sensualité s’était brusquement figée en un masque impénétrable. Pourtant, le parfum qui imprégnait l’atmosphère autour d’elle et dans lequel son corps entier semblait baigner lui donna le vertige quand elle se leva.
    « Oui, monsieur » , dit-elle. Sa voix lui parut venir de très loin, pareille à un faible écho. «  Oui, monsieur, répéta-t-elle. Comme il vous plaira. »
    Marie, assise au bord de son lit, encore en chemise blanche, bas noirs et bottines, fixait la petite pochette de papier cristal qu’elle serrait entre ses doigts. L’homme était parti depuis une vingtaine de minutes après être resté tout juste un quart d’heure avec elle. Lorsqu’elle avait voulu enlever sa chemise, il l’avait arrêtée : « Ne vous donnez pas cette peine. Votre corps ne m’intéresse pas. Je désire seulement vous parler. »
    La requête de l’homme l’horrifia. Elle secoua violemment la tête : « Non, non, monsieur, je ne peux pas faire ça. C’est impossible. » Même quand il laissa tomber un billet de dix francs sur le lit, elle continua à refuser avec détermination. Et quand il ajouta un deuxième billet, elle les jeta par terre. « Reprenez votre argent, je n’y consentirai jamais », dit-elle, le défiant du regard.
    Il fit alors un pas en avant et la gifla, pas trop fort cependant, et la joue ne lui en cuisit qu’à peine. Des hommes l’avaient déjà frappée plus brutalement sous le coup de la frustration lorsque, rendus impuissants par l’alcool, ils se vengeaient sur elle. Elle baissa la tête et la secoua de nouveau en signe de refus avec une telle vigueur que ses cheveux bruns volèrent autour de son visage comme la robe d’un derviche.
    Il la traita de salope, de pute, de connasse, et elle demeura inflexible. Il lui lança qu’elle était imbaisable, qu’elle n’était qu’une grosse vache que même le plus malingre des taureaux de son Vaucluse natal ne voudrait à aucun prix monter.
    Ensuite il la prit par les sentiments. Il s’excusait, il était en colère pour des raisons qui n’avaient rien à voir avec elle. Elle était très séduisante et il comprenait pourquoi les hommes la désiraient. Et puis quelle jolie chambre… quelle jolie lampe !
    Marie ne réagit ni aux injures, ni aux compliments. Les insultes l’avaient profondément blessée : elles ne faisaient que confirmer ce qu’elle pensait d’elle-même dans ses moments de cafard, quand elle se disait qu’aucun homme bien ne voudrait jamais d’elle. Et voilà justement qu’au moment où un homme bien était apparu dans sa vie, ce type infâme au visage crayeux lui demandait de l’aider à faire du mal à

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