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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Welch
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le Vaucluse. Elle y retournerait avec lui, et ils pourraient travailler dans les vergers de sa famille.
    Elle redescendit aussitôt sur terre. Comment imaginer que ses parents accepteraient ce géant à la peau brune ? On le considérerait comme une sorte de monstre et elle, comme l’épouse d’un monstre. Et s’ils restaient à Marseille ? Il avait un bon travail, venait-il de dire, et il allait emménager dans un grand appartement. À l’inverse de ses autres clients, il était gentil et prévenant. Et, à défaut d’être beau, il ne manquait pas d’une certaine allure. Sans oublier que quand elle couchait avec lui, elle éprouvait quelque chose qu’elle n’aurait jamais cru éprouver un jour. Elle avait le sentiment de réellement faire l’amour.
    Seulement, il n’était pas provençal, ni même français. Il venait d’Amérique. Que se passerait-il si, juste après leur mariage, il décidait de partir ? Ce serait tout à fait envisageable. Ou s’il se mettait à boire et à la battre ? Peut-être que ces Américains n’étaient pas aussi sains d’esprit que les Français. Ce qui l’inquiétait le plus, c’était qu’il puisse disparaître du jour au lendemain. Regagner l’Amérique. Et elle, que deviendrait-elle ? Sans toit et sans travail. Impossible de revenir ici. Et de toute façon, à ce moment-là, elle serait peut-être déjà trop vieille ou trop grosse pour faire la putain.
    Non, elle ne pouvait pas courir ce risque. Elle ne le ferait pas. Malgré tous ses aspects désagréables – les heures monotones passées à attendre en bas, les hommes plus ou moins soûls, le petit déjeuner qu’elle prenait avec les autres filles pendant que les femmes honnêtes effectuaient leurs emplettes ou promenaient leurs enfants – c’était sa vie, une vie qui lui assurait une sécurité pour quelques années encore.
    Marie, remplie de dégoût vis-à-vis d’elle-même, réprima une grimace et se tourna vers le géant au teint mat qui lui souriait. « Tu veux monter avec moi, François ? »
    Charging Elk fut surpris, et ravi, de voir une bouteille de vin et deux verres posés sur la commode. Aurait-elle deviné qu’il allait lui demander de venir vivre avec lui ? Peut-être avait-elle paru si distante en bas parce que d’autres – des hommes ayant sans doute couché avec elle – les observaient. Il était habitué aux regards curieux dont on le gratifiait, mais pas Marie, du moins pas autant. Au Salon, elle se montrait toujours réservée, mais une fois dans sa chambre, elle s’animait et ils connaissaient alors de longues minutes d’intimité. Le jeune Indien s’émerveillait de la désirer toujours avec la même force. Mais aujourd’hui, ils s’apprêtaient à fêter un événement si extraordinaire qu’il osait à peine y croire.
    Il suspendit sa veste au portemanteau et desserra sa cravate qu’il fit passer par-dessus sa tête. Puis il lui prit la fantaisie de défaire le ruban bleu qui lui attachait les cheveux, lesquels retombèrent sur ses épaules, telle une cascade noire. Il finissait de déboutonner sa chemise quand Marie l’appela :
    « Viens trinquer avec moi, François. » Elle lui tendit un verre à demi rempli d’un vin d’une splendide couleur rouge brique. Il nota que la surface tremblotait, agitée de petites vagues. Peut-être Marie était-elle nerveuse.
    Il s’inclina légèrement. « Du beau vin pour une belle femme, dit-il en buvant une gorgée tandis qu’elle l’imitait. Idéal pour célébrer un moment de bonheur », ajouta-t-il, content de trouver facilement ses mots.
    Marie s’assit au bord du lit et leva les yeux. Ignorant combien de temps la drogue mettait pour agir, elle tapota le matelas à côté d’elle pour inviter François à prendre place à ses côtés. Elle sentit s’affaisser les ressorts du sommier sous son poids, sentit son bras autour de ses épaules, sentit ses doigts descendre le long de son flanc. Elle tremblait maintenant des pieds à la tête.
    « Tu as froid ? Il fait pourtant si chaud dans ta chambre.
    — Ce… ce n’est rien… simplement une pensée. »
    Il but encore une gorgée qui le réchauffa. Il attendait qu’elle lui confirme qu’il ne s’était pas trompé quant à la raison de cette fête. Comme elle se taisait, il se décida à lui demander : « Alors, tu viendras avec moi ? »
    Elle se tourna et lui adressa un regard qu’il jugea bizarre, comme si elle scrutait les profondeurs de son être.

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