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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Welch
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sa montre. Cinq heures et demie. Mon Dieu, songea-t-il. Déjà douze heures que j’ai reçu ce coup de téléphone de la préfecture. Il avait l’impression qu’il venait de vivre les douze heures les plus longues de son existence. Il se leva. « Excusez-moi, mais je dois retourner au consulat. » À la vérité, il ressentait un immense soulagement. À cette heure-là, Atkinson serait déjà parti.
    Saint-Cyr se leva à son tour et tendit la main de cette étrange manière qui était la sienne. « Merci de m’avoir consacré un peu de votre temps, monsieur Bell. Je sais combien cela vous a coûté.
    — Mais non, mais non. » Bell lui serra la main. «  Au revoir, monsieur Saint-Cyr.
    —  Au revoir, monsieur Bell. Et bonne chance. »
    Le vice-consul fit quelques pas, puis il s’arrêta et se retourna. « J’espère que vous ménagerez Charging Elk, monsieur Saint-Cyr. Je sais que son geste est impardonnable. » Il s’efforça de réfléchir. « Mais pour lui, voyez-vous, c’était une question d’honneur. Je crois qu’il a agi comme il devait agir. Il n’avait pas le choix.
    — Le code de l’honneur en vigueur chez les sauvages, je présume. » Le journaliste ne leva pas la tête et continua à feuilleter son carnet posé sur la table.
    « Quelque chose de ce genre. Il a dit que Breteuil lui avait fait une chose qu’un homme ne fait pas à un autre homme. Il a été très clair là-dessus. »
    Cette fois, Saint-Cyr leva les yeux. « Il parle français, maintenant ?
    — Oui, un peu. Il ne s’est pas montré particulièrement communicatif, mais il a demandé des nouvelles de la prostituée. Il semblait très inquiet à son sujet.
    — Intéressant. » L’éditorialiste prit une note dans son carnet, puis il le ferma et le rangea dans sa poche. « Je vous remercie encore une fois, monsieur Bell. Et soyez assuré que je ferai preuve d’une totale impartialité. Vous pouvez être tranquille sur ce point. »
    Saint-Cyr suivit des yeux le vice-consul qui s’éloignait. Dans son pardessus noir, l’Américain avait les épaules voûtées et la démarche lourde d’un condamné qui monte à l’échafaud. Son chapeau de paille lui-même paraissait écrasé sous le poids du soleil éclatant. Vu de dos, on n’aurait jamais imaginé qu’il s’agissait d’un homme grand et fort et plutôt beau à sa manière. Il avait le front trop ridé, les yeux trop usés.
    Le journaliste eut un peu pitié de lui. Certes, il n’aimait guère les Américains et, dans ses éditoriaux, il lui était arrivé plus d’une fois de leur reprocher leur arrogance et leur prétention. Il n’aimait pas voir leurs bateaux dans le port de Marseille, il n’aimait pas leurs marins, il n’aimait pas leurs délégations commerciales qui se révélaient de plus en plus exigeantes et refusaient de payer le juste prix des marchandises. Il les comparait volontiers aux Romains qui avaient débarqué à Massilia avec leurs vaisseaux et levé leur tribut sur la ville.
    Pourtant, il ne pouvait s’empêcher de le plaindre parce que ce scandale allait probablement lui coûter son poste. Et avec ce qu’il avait raconté au cours de cette étrange après-midi, le scandale ne faisait aucun doute ! Jamais on n’avait vu un homme se donner ainsi des verges pour se faire fouetter.
    Il ouvrit le couvercle de sa montre de gousset. Six heures moins le quart. Trop tard pour se rendre à la préfecture. Par contre, il avait largement le temps pour son éditorial qu’il ne remettrait que demain soir. De toute façon, il ignorait encore qui était le véritable méchant de l’histoire. Pouvait-on éprouver de la sympathie pour un sauvage qui avait assassiné un pervers ? Pouvait-on s’indigner de la mort d’un homme qui se livre à un acte sexuel sur un sauvage drogué et sans défense ? Il sortit son carnet et consulta la première page. Vautrin. Le sergent Vautrin. Il prendrait sur son salaire de quoi acheter une boîte de bons cigares, et peut-être même une bouteille de cognac. Dieu merci, tous les policiers n’étaient pas aussi incorruptibles que Borely.
    Saint-Cyr coiffa le canotier qu’il avait laissé sur la table et quitta l’ombre protectrice du parasol. Aussitôt, la chaleur s’abattit sur ses épaules, et il se rendit compte qu’il venait de passer quatre heures dans une sorte d’état second. Il n’avait pas remarqué que le vent avait viré au sud, et que la fraîcheur du matin avait été trompeuse.

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