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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Welch
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eux, sauf s’ils deviennent menaçants, ou s’ils ont été créés pour servir de nourriture. Dans ce cas, on dit des prières quand on les tue afin d’honorer leurs esprits. Et le monde demeure en équilibre – du moins le demeurait-il autrefois. Maintenant, le cercle était brisé et les siens étaient morts dans leurs corps et dans leurs esprits. Même les Paha Sapa sacrées leur avaient été enlevées. Les wasichus creusaient des trous dans les collines sacrées à la recherche du métal jaune qui les rendait fous. Ils abattaient les arbres et construisaient leurs villages. Ils détournaient le cours des rivières avec leurs abreuvoirs et leurs barrages. Ils voulaient tuer les Lakotas qui venaient y prier et avoir des visions qui les rendaient forts. Les collines sacrées qui avaient engendré les Lakotas étaient à jamais perdues pour eux. Et les bisons qui étaient entrés dans la grotte, les bisons du rêve de Bird Tail, ne reviendraient jamais dans ce monde. Le mal apporté par les wasichus régnait partout.
    Même si ce siyoko n’était qu’un parmi la multitude de ceux qui grouillaient derrière la haute fenêtre de sa cellule, le tuer valait bien une centaine de coups comptés sur les ennemis. Il mourrait avec honneur dans ce monde loin de son peuple. Wakan Tanka le saurait. Pendant les deux derniers sommeils, il était parvenu à cette conclusion : les épreuves que le Grand Mystère lui avait fait subir durant les quatre années écoulées ne comportaient pas de promesse de récompense. Elles n’étaient destinées qu’à s’assurer de son courage et de sa résolution en vue de le préparer à l’épreuve finale. En tranchant la gorge du siyoko, il avait accompli son temps sur terre.
    Charging Elk s’assit au bord de sa paillasse et posa ses pieds nus sur le sol froid. Il avait le dos raide et douloureux, car l’un des hommes l’ayant trouvé allongé sur la chaussée lui avait décoché deux ou trois coups de pied. Il devait avoir d’énormes bleus, mais il souffrait surtout à l’intérieur. Depuis qu’il était là, il pissait du sang, mais peu lui importait. Bientôt, il serait mort. René lui avait raconté un jour que lorsque la guillotine coupait la tête, le corps continuait à vivre un moment, agité de soubresauts, et il lui avait cité l’exemple d’un homme décapité qui s’était redressé et avait couru vingt mètres avant de s’effondrer, et ensuite celui d’une tête qui avait injurié et maudit tous les spectateurs qui applaudissaient à son exécution. À l’époque, Charging Elk avait été horrifié, mais à présent, il sourit à ce souvenir. Il avait tué des oiseaux et autres animaux puis les avait regardés trembler et se tordre dans leur agonie. Ce n’était rien. Bird Tail, le vieux wicasa wakan, affirmait qu’il s’agissait simplement de leurs esprits quittant leurs corps et que si l’on disait les prières qu’il fallait, tout irait bien. Le moment venu, Charging Elk dirait lui aussi les prières qu’il fallait, mais ce seraient des prières de remerciements pour avoir vécu sur cette terre et non pour la destinée de sa nagi.
    Machinalement, il tâta la poche de son pantalon à la recherche de la chaîne au bout de laquelle se trouvait sa montre, jusqu’à ce qu’il se souvienne que le geôlier la lui avait confisquée, de même que son portefeuille. En revanche, il ne se rappelait pas ce qu’était devenu son couteau. L’avait-il laissé dans la chambre ? Ou bien le geôlier le lui avait-il également pris ?
    Sa sérénité l’abandonna soudain. Marie ! Chaque fois qu’il songeait à elle, c’était avec un sentiment d’inquiétude. Le siyoko lui avait-il fait du mal ? Si elle avait été dans la chambre et encore en vie, elle serait sûrement accourue à son secours. Juste avant qu’il ne s’endorme, elle avait posé ses lèvres sur les siennes. Il avait vu des amoureux s’embrasser ainsi sur les quais du Vieux-Port et dans les cafés du cours Saint-Louis. Mais lui avait-elle parlé ? Il croyait se souvenir d’un murmure à son oreille, mais sortait-il de la bouche de Marie ? Il ne pouvait s’empêcher de craindre le pire. Au milieu de ces instants de tendresse, il avait sombré dans un sommeil de plomb, et le siyoko en avait certainement profité pour tuer Marie avant de pratiquer cet acte infâme sur son sexe, un sexe réservé à Marie et à elle seule, et en aucun cas à un homme. Il ne devait pas oublier, tandis

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