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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Welch
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chaise sur l’un de ses quatre pieds. Incroyable, non ? Je suis probablement le seul homme que vous rencontrerez à avoir un cal au menton. » Après un long silence, il poursuivit : « C’est pour cela que j’ai assisté aux représentations du Wild West Show à Paris. Je me produisais devant l’entrée avant le spectacle. Et dès que la représentation débutait, j’entrais regarder. Je suis certain de vous avoir vu. » Causeret se tut un moment avant de reprendre : « Jongleur itinérant. J’allais de ville en ville : Lyon, Orléans, Tours, Besançon, Bordeaux… Mais je ne suis jamais passé à Marseille. Dommage. Vous vous rendez compte ? J’allais où je trouvais du travail. Comment pouvais-je être itinérant alors que j’avais une maison et une femme ? je leur ai dit. Et le président du tribunal a répliqué : “Eh bien, vous n’avez plus de maison et plus de femme. Vous avez tué votre femme et vous êtes en prison.” J’aimerais bien que vous me disiez si vous trouvez cela juste, monsieur. »
    Mais Charging Elk avait sombré dans un profond sommeil, hors d’atteinte des voix, des pensées et même des rêves. Jamais il n’avait dormi aussi profondément, ni quand il était petit au bord de la Little Bighorn, ni adolescent au Bastion, ni quand il se couchait, épuisé, après le spectacle de la troupe à Paris, ni même après une journée éreintante passée à pelleter du charbon dans les fourneaux de la savonnerie. Si une branche à laquelle se raccrocher s’était présentée au cours de sa chute dans le trou noir de l’inconscience, il ne l’aurait en aucun cas saisie, car il n’avait jamais été si près de rejoindre ses ancêtres que lors de cette fin d’après-midi à la Tombe. Le sommeil de la mort, songera-t-il plus tard avec tristesse, mais pas la mort en vrai.
    Charging Elk et Causeret partagèrent la même cellule durant trois ans et devinrent très proches. Pendant la promenade quotidienne d’une heure, ils arpentaient ensemble la cour de la prison, Charging Elk pour prendre un peu d’exercice, tandis que Causeret réfléchissait aux moyens de s’évader. Il ne doutait pas d’arriver à escalader la muraille, mais une fois dehors ? Il prévoyait d’aller en Amérique, mais il ne voulait pas partir sans Charging Elk. Ils iraient tous deux se faire oublier dans le pays de l’Indien. Il s’intéressait particulièrement aux chercheurs d’or des Paha Sapa. Où trouvait-on le métal précieux, en quelles quantités, et où pouvait-on le vendre ? Naturellement, Charging Elk se moquait bien de l’or, mais pour faire plaisir au jongleur, il répondait qu’on le ramassait à même le sol, par morceaux entiers. Un jour, il avait même trébuché sur une pépite de la taille d’une pastèque. Causeret, gagné par la mélancolie, gardait alors le silence, en sorte que Charging Elk regrettait d’avoir ainsi nourri ses rêves irréalisables.
    D’une manière générale, Causeret était un compagnon agréable. Il travaillait aux cuisines, si bien que deux fois par jour, à quatre heures et demie du matin, puis à trois heures et demie de l’après-midi, il quittait leur cellule pour trois ou quatre heures. Et comme il aidait à préparer les repas des gardiens et du personnel administratif, il arrivait de temps en temps à sortir en fraude un petit extra, un morceau de pain le matin, ou une saucisse ou une cuisse de poulet l’après-midi. Une fois, quelques jours après que Charging Elk s’était plaint qu’il ne reverrait sans doute jamais de la vraie viande, Causeret était revenu avec un épais morceau de bœuf. Et, regardant l’Indien mordre dedans à belles dents, il s’était exclamé : « Seigneur, tu as des mâchoires de loup ! »
    Vers la fin de la troisième année, Charging Elk fut convoqué chez le directeur dont le bureau était situé dans le bâtiment administratif qui occupait un coin de la cour à côté du lourd portail de fer. À peine l’eut-on introduit dans une petite antichambre qu’il se figea sur place. Derrière un bureau de bois sombre se tenait une femme qui semblait proche de la quarantaine. Les cheveux relevés en un chignon serré, ne portant pas la moindre trace de maquillage, vêtue d’un chemisier blanc amidonné et, d’après ce qu’il parvenait à distinguer, d’une jupe longue noire au bord légèrement effiloché, elle n’était pas particulièrement jolie, mais c’était la première femme qu’il voyait

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