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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Welch
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des prunes ou des artichauts.
    Nathalie se sentit soudain prise d’un léger malaise. Elle n’avait dormi que deux heures cette nuit et, bien qu’elle eût mangé un bout de pain sur le chemin de la gare, elle avait l’impression d’avoir l’estomac vide et plein d’acidité. Elle s’efforça de ne plus penser à la langue visqueuse de l’amoureux de Catherine qui avait grisé son amie, et elle concentra son esprit sur le moment présent et sur l’étranger qui devait venir loger chez eux pendant quelques mois. Elle était un peu nerveuse à l’idée de vivre aux côtés d’un sauvage, non parce qu’elle avait peur de lui – on avait assuré à son père qu’il n’était pas dangereux –, mais parce qu’elle craignait la réaction des voisins. Elle avait sa réputation à préserver. Malgré son manque de succès auprès des garçons, elle devenait femme. Certaines parties de son anatomie commençaient à se rembourrer, tandis que d’autres s’affinaient. Quand elle se regardait dans la glace, elle voyait maintenant des pommettes bien dessinées et un nez qui n’avait plus tout à fait l’air d’une petite patate. Cette transformation l’emplissait d’une fierté secrète, comme si elle devenait enfin la fleur épanouie qu’elle avait toujours su qu’elle deviendrait un jour.
    Vincent Gazier, un homme maigre au visage émacié, se tenait à côté de sa fille, les bras croisés, un mince cigare à la main, le front soucieux. Le vent cinglant qui soufflait de l’ouest apportait la fraîcheur de l’Atlantique, ce qui ne laissait pas de l’inquiéter. À cette saison, c’était en général ce vent-là qui empêchait ses arbres de geler, mais la nuit dernière, il avait chassé les nuages, si bien que sa femme, sa fille et lui avaient dû allumer des feux parmi les arbres et les entretenir jusqu’à l’aube. La nuit à venir s’annonçait tout aussi claire et froide. En ce moment, il devrait être à ramasser du bois dans la forêt à l’est d’Agen. Et pour ne rien arranger, le train avait du retard.
    Les Gazier cultivaient des prunes non loin d’Agen depuis des générations et des générations. C’était, dans l’ensemble, un métier plutôt agréable, mais qui ne rapportait pas des fortunes. Toutefois, les années où, grâce à Dieu, la récolte était normale, il parvenait à nourrir et à habiller sa famille jusqu’à l’année suivante. De même que tous les Gazier avant lui, il n’en demandait d’ailleurs pas davantage. Malheureusement, il arrivait trop souvent qu’un gel tardif attaque les bourgeons ou les jeunes fruits, ou que la sécheresse rende les prunes trop petites et dures, ou encore que des pluies violentes fassent éclater les prunes mûres, de sorte que toute la récolte pouvait être perdue. Par bonheur, l’année dernière avait été excellente, et ils avaient pu livrer à la fabrique de pruneaux une bonne quantité de fruits pour en retirer une somme décente.
    Il suffisait pourtant d’une seule mauvaise année, songeait Gazier, et on devait aller s’humilier devant les banquiers pour emprunter l’argent permettant de passer l’hiver. Il tira sa montre. Une heure et demie. Déjà vingt minutes de retard. Il commençait à regretter d’avoir entraîné sa famille dans cette histoire.
    Deux semaines auparavant, il avait reçu une lettre de madame Loiseau de l’Aide sociale catholique. Il l’avait lue d’abord seul, puis à sa femme et à sa fille, sautant les passages qui parlaient du crime. Après les formules de politesse habituelles, elle en venait au sujet :
    Vous avez peut-être maintenant deviné que je vais profiter de votre offre plus que généreuse d’aider une nouvelle fois notre organisation dans la mesure de vos moyens. Vous désirerez peut-être reconsidérer votre proposition, et vous serez entièrement justifié de le faire, car je vais vous demander un immense service. Et si je me permets de faire appel à vous, c’est parce que, à deux reprises dans le passé, vous avez déjà accueilli des prisonniers que nous soutenons dans le cadre de notre programme de réhabilitation. Je puis du reste affirmer que, grâce à vous, les jeunes gens que vous avez eu la bonté d’employer ont tous deux trouvé un travail honnête et vont régulièrement à la messe.
    Voici donc l’affaire qui m’amène : nous nous occupons d’un prisonnier qui, si tout va bien, devrait être libéré d’ici deux semaines. Il s’agit d’un cas

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