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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Welch
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qu’il avait eue avec Strikes Plenty, le jour où, après discussion, ils avaient décidé de se présenter pour être engagés dans la troupe de Buffalo Bill. Quand il avait demandé à son kola ce qu’ils feraient à leur retour, celui-ci avait répondu, arborant son sourire provocateur : « Et si on ne revenait pas ? »
    Charging Elk avait jugé qu’il s’agissait d’une idée stupide, mais à présent, tandis qu’il contemplait les cheveux roux de Sandrine, il se surprenait à penser l’impensable, ce qui à la fois l’effraya et l’enivra. Serait-ce possible ? Accepterait-elle de s’occuper de lui, ici dans son pays à elle ? C’est idiot, se dit-il. Complètement idiot de s’imaginer…
    Pendant qu’elle fouillait dans son sac, la jeune femme n’avait cessé de marmonner entre ses dents. Soudain, elle poussa un cri de joie et sortit un petit bout de carton. Elle l’examina un instant, puis l’embrassa et le tendit à Charging Elk. C’était une image rigide et brillante qui représentait un homme barbu vêtu d’une espèce de cape rouge sous laquelle il portait une robe blanche avec un cœur dessiné dessus. Une croix couronnée d’épines surmontait le cœur d’où gouttait du sang.
    Charging Elk, déconcerté, jeta un regard interrogateur à Sandrine dont les yeux verts semblaient luire de plaisir. « Jésus », dit-elle. Elle lui reprit la carte et la retourna. Au dos figuraient de nombreuses lignes de l’écriture arrondie dont se servaient les hommes blancs. La jeune femme prononça une longue phrase qu’il ne comprit pas, mais, devinant que les mots lui venaient du fond du cœur, il se sentit légèrement embarrassé. Elle lui déposa la carte dans la paume et referma un instant sa petite main dessus. Ils demeurèrent quelques secondes ainsi, les yeux rivés sur leurs mains, puis elle dit : « Adieu, Charging Elk – mon ami. » Elle partit aussitôt, remontant l’allée qui menait vers le chapiteau et vers Paris. Charging Elk ne devait plus la revoir.
    Néanmoins, il conserva l’image de l’homme au cœur qui saigne. Il la portait tout le temps sur lui, dans la poche de son gilet ou dans un petit sac de cuir qu’il avait confectionné et qu’il attachait à sa ceinture avant d’entrer en piste vêtu de son pagne. Il ne comprenait pas bien ce qu’elle représentait, mais c’était Sandrine qui la lui avait donnée, celle-là qui lui avait réchauffé le cœur. Ainsi, l’image était devenue une partie de la nagi de la jeune femme qu’il devait garder toujours sur lui, de même qu’il devait garder toujours sur lui son collier de griffes de blaireau.
    Ses pensées furent interrompues par un bruit de pas lourds qui approchaient. Trois hommes entrèrent dans la pièce. Deux étaient en uniforme d ’akecita, et à la vue du troisième, les yeux de Charging Elk s’écarquillèrent. C’était Costume Marron ! L’Américain. Seulement, cette fois il avait un costume noir et cette espèce de cravate blanche munie de deux ailes que les wasichus portaient quand ils se mettaient en grande toilette. Un chapeau rond au bord étroit retourné, également noir, était perché sur le sommet de son crâne. Seule sa moustache qui frisait aux coins de sa bouche n’avait pas changé depuis sa visite à la maison des malades.
    « Charging Elk. Hello, my friend. » Costume Marron lui tendit la main et Charging Elk leva mollement la sienne. L’homme la lui serra vigoureusement et lui sourit, surpris néanmoins de le trouver si faible et émacié, au point que ses joues creuses paraissaient presque noires sous la lumière crue. L’Américain se tourna vers le plus jeune des policiers dont le col de la tunique s’ornait des insignes de sergent. « Avez-vous donné quelque chose à manger à ce pauvre hère ? » Bien que Franklin Bell n’occupât la fonction de vice-consul américain à Marseille que depuis deux ans, il parlait un français fort correct. Il était contrarié. C’était la veille de Noël et ses derniers invités s’apprêtaient à partir quand un gendarme était venu annoncer qu’on avait arrêté un Américain, un Peau-Rouge.
    Le deuxième policier, un homme plus âgé, portait plusieurs rubans et trois médailles épinglées à sa tunique. C’était un petit homme soigné aux cheveux gris clairsemés, séparés par une raie au milieu. Une moustache broussailleuse aux reflets châtains ornait sa lèvre supérieure que surplombait un nez pointu. Il

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