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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Welch
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avoir des vues sur lui, mais tous les jours à la fin du marché, le couple âgé venait l’aider et repartait avec elle. Charging Elk ne savait pas où elle habitait, ni à quoi ressemblait sa maison.
    René, bien qu’il en voulût un peu au jeune Indien de l’abandonner ainsi après tout ce qu’il avait fait pour lui, l’avait présenté un dimanche à un homme corpulent vêtu d’une jaquette noire et d’un pantalon rayé. Il portait en outre une lavallière maintenue par une épingle en or, et ses cheveux argentés soigneusement pommadés et coiffés en arrière retombaient en boucles huileuses juste au-dessus de son col sous le bord de son haut-de-forme. Il avait une moustache en croc aux extrémités frisées. Charging Elk n’avait encore jamais vu à Marseille un homme qui portât aussi beau. Il lui rappelait Buffalo Bill quand il se mettait sur son trente et un pour rencontrer les grands chefs de France.
    Charging Elk attendait sur les marches de l’église que les Soulas sortent à la fin de la cérémonie. Il venait souvent les chercher là pour les accompagner ensuite jusqu’à leur domicile. René, par bonheur, n’insistait plus pour qu’il se joigne à eux dans la maison sacrée. Pourtant, il avait souvent envie d’entrer voir à quoi leur cérémonie ressemblait, mais il résistait à la tentation, car il craignait que, dans ce cas, Wakan Tanka ne s’occupe plus du tout de lui. Il continuait à croire que le Grand Esprit avait un plan qui lui permettrait, le moment venu, de rentrer au pays. Mais les lunes succédaient aux lunes, et il n’avait pas encore réussi à économiser beaucoup d’argent. Le petit Français lui donnait juste assez pour qu’il puisse s’offrir du tabac et des bonbons ainsi que, de temps en temps, une anisette ou un café. Il n’avait mis que vingt-quatre francs de côté, et il savait par Mathias que la traversée pour l’Amérique coûtait infiniment plus, peut-être mille francs ou même davantage.
    Aussi, quand René le présenta à l’homme qui lui rappelait Buffalo Bill, Charging Elk se prit-il à espérer. Il devinait que cet homme détenait une puissante médecine et qu’il viendrait peut-être à son aide. Il était plus important que Costume Marron ou Poitrine Jaune, et même que Buffalo Bill.
    Trois sommeils plus tard, il commençait à travailler à la savonnerie. Ce matin-là, René l’accompagna en omnibus jusqu’à la fabrique. Pour la première fois depuis l’âge de seize ans et la mort de son père, il ne se rendit pas au marché, laissant Madeleine et François s’occuper de l’étal. Les événements prenaient une tournure qui ne lui plaisait pas, mais un soir qu’il coupait les fleurs fanées de ses géraniums, il réfléchit et comprit qu’il ne devait pas s’opposer à ce que l’homme à la peau brune franchisse l’océan pour rejoindre les siens.
    Malheureusement, René ne pouvait pas payer suffisamment Charging Elk pour que celui-ci économise le prix de la traversée, plus celui du billet de train pour se rendre de l’autre côté de l’Amérique, et il n’était pas lui-même assez riche pour, le cas échéant, lui avancer l’argent. Par contre, il siégeait au diocèse aux côtés de monsieur Miroux, l’opulent savonnier, qui rétribuait convenablement ses ouvriers et qui s’était aussitôt montré intéressé lorsque René avait mentionné que Charging Elk était non seulement un solide travailleur, mais aussi un Peau-Rouge, un ancien membre de la troupe du Wild West Show. Et quand l’industriel le vit sur les marches de l’église de la Sainte-Trinité, il fut impressionné par sa stature, son visage au teint bistre et aux pommettes hautes qui dissimulaient presque ses yeux bridés, et ses longs cheveux noirs noués par un ruban rouge. Il avait l’air d’un vrai sauvage, mais d’un sauvage vêtu d’un costume de laine froissé et d’une chemise blanche toute propre dont le col s’ornait d’une lavallière. Monsieur Miroux, qui avait bâti sa fortune en partant de zéro et qui employait à présent deux cents ouvriers dans sa fabrique, serra la main de l’Indien et lui demanda de se présenter à la savonnerie dans trois jours.
    Gravissant l’escalier au pied de la place de la République, Charging Elk se remémorait cette rencontre. Il était alors plein d’espoir. À l’idée de gagner assez d’argent pour pouvoir retourner chez lui, de vivre enfin seul et de se trouver peut-être une femme, il

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