A l'écoute du temps
première fois que t'es venu, mais on était là, dit Richard, pas du tout
impressionné par l'ami de sa soeur. T'es chanceux de nous voir la face à soir.
D'habitude, mon père et ma mère nous envoient nous cacher dans notre chambre
quand on a de la visite.
Je pense qu'ils
ont honte de nous autres, ajouta-t-il pour narguer ses parents.
Serge Dubuc eut
un sourire un peu embarrassé.
— Toi, t'es mieux
de te tenir les oreilles molles, mon insignifiant, si t'as l'intention de
veiller un bout de temps, le prévint sa mère, furieuse.
— Il manque juste
mon frère Jean-Louis qui est sorti pour la soirée, déclara Denise en présentant
une chaise à son ami.
La jeune fille se
rendait bien compte qu'il ne pouvait y avoir de pires conditions pour recevoir
Serge. Ne pas avoir un salon où se réfugier devait sûrement lui paraître très
anormal, même si elle l'avait prévenu. Elle se mit soudain à craindre qu'il ne
veuille plus revenir la voir. Qui pouvait endurer se faire regarder comme une
bête curieuse par toute une famille pendant toute une soirée? 3J7 Pourtant,
après quelques minutes, le jeune caissier sembla prendre de l'assurance et se
mit à plaisanter avec Gilles et Richard qui lui avaient demandé en riant s'il pouvait
prendre tout l'argent qu'il voulait dans sa caisse.
Assise dans sa
chaise berçante, Laurette se balançait doucement. Elle ne quittait guère des
yeux ce garçon à la mise soignée qu'elle tentait de jauger. Son veston bleu et
sa cravate grise lui donnaient un air sérieux que ne démentait pas la raie
impeccable de ses cheveux. Il semblait avoir un bel aplomb et la parole facile,
une fois passés les premiers moments de gêne. D'ailleurs, ce fut lui qui
proposa à Laurette, Denise et Carole de jouer aux cartes après que le père de
famille eut déclaré qu'il avait l'intention d'écouter le match de hockey à la
radio.
Quand la voix de
Michel Normandin annonça le début de la partie opposant les Rangers de New York
aux Canadiens de Montréal, Richard et Gilles rejoignirent leur père près de la
radio. Serge baissa instinctivement la voix pendant que les trois femmes de la
maison s'attablaient pour jouer une partie de cartes avec lui. La soirée se
déroula sans anicroche et les joueurs de cartes ne semblèrent pas déranger les
amateurs de hockey.
A dix heures, les
trois plus jeunes furent invités à aller se mettre au lit. Comme tous les soirs
de radiodiffusion de hockey, Richard et Gilles se firent tirer un peu l'oreille
pour obéir parce que la troisième période n'était pas terminée.
— Vous aurez
juste à demander le score à votre père demain matin, trancha Laurette sur un
ton sans appel.
Allez vous
coucher et que je vous entende pas jaser.
A leur entrée
dans leur chambre, Gilles dit à son frère:
— Après tout, le
chum de Denise est pas si achalant que ça.
318 LE TEMPS DES
FÊTES
— Ouais,
acquiesça Richard. Il est même moins plate que Jean-Louis. On pourrait
peut-être les échanger l'un pour l'autre. En tout cas, moi, j'aimerais ça avoir
la même job que lui. Compter de l'argent toute la journée, ça doit pas être si
pire que ça.
A la fin de la
soirée, après le départ de l'invité de Denise, Gérard ne put s'empêcher de
faire remarquer à sa femme:
— Au fond, je
pense que ça a pas tellement dérangé les jeunes de pas pouvoir veiller au
salon.
— Gérard Morin,
il y a des fois que je te trouve pas mal niaiseux! déclara sa femme. Aurais-tu
aimé ça qu'on se fréquente dans la cuisine chez nous, avec mon père, ma mère et
mes deux frères?
— Ben non,
reconnut son mari, mais nous autres, c'était pas la même chose. C'était
sérieux.
— Ben oui, se
moqua Laurette. Ben sérieux.
Le lendemain
matin, la mère de famille se leva tôt pour avoir le temps de mettre son gâteau
de la fête des Rois au four avant d'aller à la grand-messe. La préparation de
son gâteau aux épices dans lequel elle allait dissimuler une fève et un pois
avant de le glacer au retour de la messe ne fit rien pour dissiper sa mauvaise
humeur. Inquiète de l'absence de Jean-Louis, qui n'était rentré qu'à deux
heures du matin, elle ne s'était endormie qu'au milieu de la nuit et ne pouvait
même pas boire une tasse de café puisqu'elle voulait aller communier.
— Attends qu'il
se lève, lui! Je vais lui dire ma façon de penser! dit-elle à mi-voix sur un
ton
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