A l'écoute du temps

que c'est la fin des vacances, intervint Richard, la mine
soudainement assombrie.
     
    Ça me tente pas
pantoute de revoir la face de Nantel demain matin.
     
    — De monsieur
Nantel, effronté, le reprit sa mère.
     
    Oui, l'école
reprend demain et t'es mieux de pas faire la tête croche.
     
    — Vous pouvez pas
dire que je vous ai ben encombrée pendant les vacances, m'man, protesta
l'adolescent. J'ai travaillé presque tout le temps.
     
    — Arrête de
discuter pour rien et va t'habiller. Tu vas finir par être en retard à la
messe. Ah! Je viens d'y penser. Quelqu'un du presbytère a appelé hier après-midi
pendant que tu jouais dehors. Tu sers la messe de sept heures la semaine
prochaine.
     
    — Maudit! La
messe de sept heures! Je tombe encore sur le curé. J'haïs ça servir sa messe.
Il est bête comme ses pieds, lui.
     
    322 LE TEMPS DES
FÊTES
     
    — Ferme ta boîte,
Richard Morin, et va t'habiller, lui ordonna sa mère.
     
    Au retour de la
messe, Laurette glaça le gâteau et le découpa en sept parts égales qu'elle
déposa sur des assiettes.
     
    Elle plaça les
quatre assiettes destinées aux hommes d'un côté et elle introduisit un pois
dans l'un des morceaux. Elle répéta la même opération en insérant une fève dans
l'un des trois morceaux destinés aux femmes de la maison.
     
    Quand vint le
moment de manger le dessert, elle chargea Carole de procéder à la distribution.
     
    — Il est entendu
que celui qui va trouver le pois va être le roi, dit la mère. Celle qui aura la
fève va être la reine.
     
    Ce sont ces
deux-là qui vont dire aux autres quoi faire aujourd'hui... dans la limite du
raisonnable, ben sûr, prit-elle la peine de préciser.
     
    — Moi, ça me
tente pas de jouer à ça, fit Jean-Louis en repoussant l'assiette que sa jeune
soeur venait de poser devant lui.
     
    — Tu fais partie
de la famille et tu joues comme les autres, trancha sa mère.
     
    Dès la première
bouchée, Gilles mordit à pleines dents dans le pois, ce qui provoqua chez lui
une grimace de douleur.
     
    — J'ai le pois,
annonça-t-il. Mais je me suis fait mal à une dent en le mordant, par exemple.
     
    — Eh ben, moi, je
vais être la reine, rétorqua sa mère en montrant la fève qu'elle venait de
découvrir dans son morceau de gâteau.
     
    Quand tous eurent
mangé leur dessert, le roi et la reine distribuèrent les tâches.
     
    — P'pa, vous
allez faire la vaisselle avec Richard et Jean-Louis, annonça Gilles.
     
    — C'est pas nouveau,
fît son père avec philosophie.
     
    Chaque année,
c'est la même maudite affaire. Je commence 323 à avoir hâte que ta mère se
tanne de faire ce gâteau-là.
     
    On dirait qu'elle
s'organise pour que je trouve jamais le pois.
     
    — C'est ça,
plains-toi donc, fit sa femme sans la moindre trace de compassion dans la voix.
     
    — J'espère qu'on
n'a pas la table à démettre en plus, dit Jean-Louis, qui venait de se lever de
mauvaise grâce.
     
    — Non, dit la
reine. Denise démet la table et Carole balaie la cuisine. A soir, pour le
souper, les deux filles vont le préparer et les garçons feront encore la
vaisselle.
     
    — Et si on mange
pas, est-ce qu'on est obligé pareil de laver la vaisselle? demanda Richard en
s'emparant d'un linge, prêt à essuyer.
     
    — Ça changera
rien. Tu feras le même ouvrage, lui dit Gilles.
     
    Cet
après-midi-là, Gilles ne profita guère longtemps de son règne. Une heure à
peine après le repas, l'une des dents avec laquelle il avait mordu dans le pois
commença à le faire souffrir sérieusement. Quand les élancements devinrent
intolérables, il finit par aller voir sa mère occupée à confectionner ses
cigarettes pour la semaine.
     
    — M'man,
avez-vous des pilules? J'ai mal à une dent.
     
     
     
    — J'ai du clou de
girofle. On va en mettre sur ta gencive, dit sa mère en quittant sa chaise pour
aller chercher l'épice dans l'armoire. Tiens, frotte ta gencive avec ça. Ça va
te soulager.
     
    Le roi du jour
apprit rapidement que le clou de girofle n'apportait qu'un soulagement très
temporaire. Il passa le reste de la journée et la soirée à se plaindre de sa
dent.
     
    — J'ai ben peur
que tu sois obligé de lui faire manquer l'école demain matin pour le traîner
chez le dentiste, fit remarquer Gérard à sa femme en se mettant au lit.
     
    324 LE TEMPS DES
FÊTES
     
    — J'ai regardé tout
à l'heure quand je lui ai donné des pilules, il a de ben mauvaises dents. Mais
j'irai pas