A l'écoute du temps

l'appartement de sa soeur.
Ce fut sa mère qui vint lui ouvrir.
     
    Lucille Morin
était une grande femme un peu sèche au chignon gris impeccable et à la tenue un
peu raide. La vieille dame avait un air un peu emprunté dans sa robe bleu
marine au collet blanc en dentelle empesée. Ses petits yeux noirs, retranchés derrière
ses lunettes à fine monture en acier, examinèrent sans indulgence son fils et
sa bru au moment où ils franchirent la porte. Après avoir refermé la porte
derrière les visiteurs, elle les embrassa sans trop 309 d'effusions en leur
souhaitant une bonne année. Elle les invita ensuite à se débarrasser de leur
manteau.
     
    — Rosaire et
Colombe sont dans leur chambre, leur expliqua-t-elle. Ils achèvent de
s'habiller. Venez vous asseoir dans le salon. C'est là qu'on va être le mieux.
     
    Rosaire l'a
débarrassé de toutes les boîtes hier parce que Colombe et lui reçoivent deux
couples d'amis à souper aujourd'hui.
     
    Laurette adressa
un regard entendu à son mari.
     
    — Qu'est-ce qu'il
a fait de ses boîtes? demanda Gérard à sa mère.
     
    — Il les a mis
dans une des chambres, celle qui lui sert de bureau.
     
    À ce moment-là,
Colombe apparut dans le salon, suivie de près par son mari. Laurette et son
mari se levèrent et échangèrent des voeux avec leurs hôtes. Après s'être
informé de la santé de sa mère, Gérard demanda des nouvelles de la construction
de la maison du boulevard Rosemont.
     
    — Tout avance
normalement. On devrait pouvoir déménager, tell que prévu, à la fin du mois de
janvier, répondit Rosaire avec bonne humeur.
     
    Pendant ces
quelques échanges, Laurette ne parla pratiquement pas. Elle continua à se taire
quand Colombe, Gérard et leur mère se mirent à évoquer des souvenirs des fêtes
des années passées. A quelques reprises, elle s'aperçut que Rosaire consultait
à la dérobée sa montre et elle le vit même donner un coup de coude discret à sa
femme.
     
    Profitant d'un
vide soudain dans la conversation, Laurette se leva en annonçant:
     
    — Bon. On va y
aller, nous autres. Les enfants nous attendent à la maison et ce serait pas
normal qu'ils passent le jour de l'An tout seuls.
     
    — Pas déjà! Ça
fait même pas une heure que vous êtes arrivés, protestèrent mollement Colombe
et Rosaire.
     
    310 LE TEMPS DES
FÊTES Cette dernière phrase ne les empêcha pas de quitter immédiatement le
divan sur lequel ils étaient assis. Les hôtes n'insistèrent pas davantage pour
retenir Laurette et son mari plus longtemps. Lucille Morin se leva à son tour,
mais ne dit rien. Laurette ne put se retenir d'envoyer une flèche à ses hôtes
au moment où son beau-frère lui tendait son manteau.
     
    — Surtout que
vous attendez du monde pour souper, dit-elle. Vous devez avoir encore pas mal
d'affaires à préparer avant qu'ils arrivent.
     
    Les protestations
embarrassées de Colombe et Rosaire la remplirent d'aise. Il y eut échange de
baisers sans chaleur avant de quitter les lieux et la porte se referma derrière
le couple.
     
    Durant quelques
instants, Gérard se tut. Uniquement à sa façon de marcher, il devinait la
colère de sa femme. Il la connaissait assez pour savoir qu'elle ne cherchait
qu'une occasion pour la laisser éclater.
     
    — Tu parles du
monde cheap! finit par dire Laurette, les dents serrées. Même pas un verre de
liqueur! Pas une tasse de café! Rien! Et viens surtout pas me donner comme
excuse qu'ils se préparent à déménager, bonyeu! ajouta-t-elle en se tournant
vers son mari.
     
    — J'ai rien dit,
protesta Gérard en relevant le col de son manteau pour mieux se protéger du
froid.
     
    — Ça se vante
d'avoir les moyens et c'est même pas capable de recevoir comme du monde. Nous
autres, quand ils sont venus la dernière fois, on leur a au moins servi quelque
chose à boire, maudit verrat! Elle vit que son mari hochait la tête et repartit
de plus belle.
     
    — On leur a servi
à boire et j'ai même presque failli les garder à souper, à part ça! Tu viendras
pas me dire qu'ils étaient pas capables de nous inviter à souper avec les
petits 311 aujourd'hui. Non. Ils aiment mieux inviter des amis, des purs
étrangers, bâtard! Quand ils ont besoin d'un service, comme garder ta mère
pendant quinze jours, par exemple, ils se souviennent tout d'un coup qu'ils ont
de la famille.
     
    — Qu'est-ce que
tu veux? dit Gérard. On les changera pas. Ils sont comme ça.
     
    — Ils sont
peut-être comme