A l'écoute du temps
le jeune homme.
J'ai rapporté un
livre de la job. Je pense que je vais le lire, tranquille, dans ma chambre.
— Où est-ce que
vous pensez aller, vous deux? fit la mère de famille en voyant ses deux plus
jeunes fils se diriger vers la porte.
— Ben, on s'en va
jouer dehors, fit Richard, comme si cela allait de soi.
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— Il est déjà
presque sept heures, déclara Laurette.
Vous allez
prendre votre bain et vous nettoyer pour la messe de demain matin.
— Il fait encore
clair dehors, protesta Gilles en montrant la fenêtre.
— Je le sais. Je
suis pas aveugle, lui fit remarquer sa mère sur un ton cinglant. Vous jouerez demain.
Je fais bouillir un canard d'eau sur le poêle. Tu seras le premier à te laver.
— Est-ce qu'on
peut au moins attendre l'eau chaude sur le balcon? demanda Richard sur un ton
frondeur.
— Oui. Tu peux.
Mais parle-moi sur un autre ton sinon tu vas recevoir une claque sur les
oreilles, tu m'entends? L'adolescent vit son père, installé dans sa chaise
berçante sur le balcon, tourner la tête vers la cuisine. Il ne répliqua pas. Il
se contenta de pousser la porte moustiquaire et de sortir à l'extérieur pour se
mettre à l'abri de la mauvaise humeur de sa mère. Gilles le suivit.
— Toi, où est-ce
que tu vas? demanda Laurette à Denise en train de se poudrer le nez devant le
petit miroir installé au-dessus du lavabo.
— Colette Gravel
m'a demandé d'aller avec elle au Bijou. Il y a un film avec Gregory Peck. Je
rentrerai pas tard.
A dix-huit ans,
Colette Gravel, une rousse pétillante au visage rond agréable à regarder, était
l'aînée des trois enfants du chauffeur de taxi qui vivait au-dessus des Morin.
Elle travaillait
chez Carrière, rue Notre-Dame, depuis près de deux ans et son unique plaisir
était le cinéma. Sans être amies, les deux jeunes filles s'entendaient bien et
il leur arrivait d'aller au cinéma ensemble.
— Je pense que
c'est elle qui vient de sortir, fit remarquer Carole en entendant claquer la
porte voisine.
84 UN COMMENTAIRE
DÉSOBLIGEANT
— Bon. J'y vais
avant qu'elle soit obligée de sonner, fit Denise en se dirigeant déjà vers la
porte d'entrée.
— Prends ta
veste, lui conseilla sa mère. Tu vas être contente de l'avoir quand tu vas
attendre le petit char à la fin de la soirée.
Quand Laurette
sortit sa chaise berçante sur le trottoir quelques minutes plus tard, après
s'être assurée que Gilles prenait bien son bain, elle croyait bien retrouver
Gérard.
Il avait quitté
le balcon à l'arrière de la maison quelques instants auparavant pour aller
s'asseoir sur le pas de la porte. Pourtant, à son arrivée, elle le découvrit
debout, sur le trottoir d'en face, en grande conversation avec Marcel
Rocheleau, un vendeur de meubles chez Living Room Furniture, un magasin de
meubles de la rue Sainte- Catherine. Elle ne put réprimer une grimace en jetant
un regard noir à ce voisin âgé d'une trentaine d'années qui demeurait à
l'étage, au-dessus du restaurant Brodeur, avec sa femme Simone et ses trois
jeunes enfants.
Elle éprouvait
envers cet homme une antipathie naturelle depuis que des voisines lui avaient
appris qu'il battait parfois sa femme. Lorsqu'elle l'apercevait, toujours tiré
à quatre épingles, les cheveux brillants de Brylcream et le verbe haut, elle
serrait les dents. Catherine Bélanger, la voisine de droite, lui avait même
chuchoté, scandalisée, que le Beau Brummel privait les siens du strict
nécessaire pour aller courir les clubs de nuit les fins de semaine. On l'avait
vu plusieurs fois au Mocambo avec une autre femme que la sienne.
Gérard Morin
discuta encore un peu avec Marcel Rocheleau avant de revenir s'asseoir sur le
pas de la porte.
Pour sa part, le
vendeur fit quelques pas et pénétra chez Brodeur.
— Lui, je peux
pas le sentir, dit Laurette, l'air mauvais.
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— Qu'est-ce que
t'as contre lui? lui demanda Gérard à voix basse. Il t'a rien fait.
— Laisse faire.
Il a l'air d'un petit roquet avec sa petite boucle et sa chemise blanche. C'est
un courailleux. Il paraît même qu'il bat sa femme.
— Ça, ça nous
regarde pas, dit abruptement son mari.
— En tout cas, je
lui conseille pas de lever la main sur elle devant moi parce que je te garantis
que je vais lui faire avaler sa petite boucle, moi, précisa Laurette sur un ton
menaçant.
L'obscurité
descendait
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