A l'écoute du temps

qui semblaient avoir un peu trop l'été. Laurette dut s'assoupir à
un moment donné, mais elle sursauta, réveillée brutalement par les miaulements
d'une chatte en chaleur. Elle tourna la tête vers le réveil: deux heures
quarante-cinq. À ses côtés, Gérard émit un grognement. Elle décida soudain de
se lever. Elle glissa ses pieds dans ses pantoufles, endossa sa robe de chambre
et quitta la pièce dont elle referma la porte sans faire de bruit. Avant
d'allumer le plafonnier de la cuisine, elle prit la peine de fermer la porte de
la chambre des filles qui ouvrait sur cette pièce.
     
    Elle s'assit à
table et alluma une cigarette qu'elle éteignit presque aussitôt. Elle avait
envie de manger, pas de fumer.
     
    88 UN COMMENTAIRE
DÉSOBLIGEANT Dans un éclair de lucidité, elle reconnut qu'elle ne pouvait pas
continuer à se priver comme ça: elle allait devenir folle. Elle allait prendre
les moyens pour maigrir, elle se l'était promis. Au lieu d'atteindre son poids
de jeune fille au début d'octobre, disons qu'elle allait se laisser jusqu'aux
fêtes pour y arriver... Ça lui donnait quatre mois. À bien y penser, elle
n'avait qu'à manger un peu moins à chaque repas ou à ne rien avaler entre les repas
pour y arriver facilement, sans se priver comme une folle. Cette graisse là, il
lui avait fallu vingt ans pour qu'elle l'envahisse. C'était certain qu'elle ne
pourrait pas s'en débarrasser en quelques semaines.
     
    — Je suis ben
niaiseuse! se dit-elle à mi-voix. Je serai ben avancée si je me rends malade à
force de me priver.
     
    À bien y penser,
elle réalisa que manger là, maintenant, ce n'était pas manger entre les repas
puisque le dimanche matin, personne ne déjeunait à cause de la communion.
     
    Au fond, c'était
son déjeuner. Pendant un moment, elle hésita, taraudée par un vague remords. Si
elle mangeait à cette heure, elle ne pourrait pas aller communier parce que
minuit était passé depuis longtemps.
     
    — Puis après!
dit-elle. On n'est pas obligé d'aller communier tous les dimanches, bout de
viarge! Étant ainsi parvenue à faire taire sa mauvaise conscience, Laurette se
leva, sortit un pain de la huche et se confectionna un sandwich avec deux
tranches de baloney sur lesquelles elle étala une épaisse couche de moutarde.
     
    Comme il n'était
pas question de se préparer une tasse de thé à cette heure de la nuit, elle se
versa un grand verre de cola pour faire descendre le tout. Quand elle eut avalé
la dernière bouchée de son sandwich, Laurette poussa un profond soupir de
satisfaction avant de tout ranger.
     
    Elle retourna se
mettre au lit et dormit comme un loir jusqu'au matin.
     
    Chapitre 4 Un
dimanche comme les autres Comme tous les dimanches matin, Jean-Louis et son
père se préparèrent à quitter l'appartement à huit heures quarante-cinq. Ils
avaient l'habitude d'assister à la basse messe officiée par l'abbé Laverdière
dans la chapelle érigée à droite de l'église de la paroisse Saint-Vincent-de-
Paul. Le célébrant avait la réputation justifiée d'expédier cette messe en
trente minutes, ce qui était loin de déplaire au père et au fils.
     
    — Est-ce qu'on
peut y aller avec vous autres? demandèrent Gilles et Richard en même temps.
     
    — Il en est pas
question. Vous deux, vous venez à la grand-messe avec nous autres, trancha leur
mère.
     
    Depuis plusieurs
mois, les deux garçons faisaient des pieds et des mains pour accompagner leur
père et leur frère aîné à la première messe du matin dans l'intention
d'échapper à la grand-messe de dix heures célébrée par le curé Damien Perreault
dont les sermons interminables avaient le don de les ennuyer prodigieusement.
Jusqu'à présent, toutes leurs tentatives avaient échoué face à la détermination
de leur mère qui voulait les avoir à l'oeil durant la cérémonie religieuse.
     
    91 Les deux
frères essayaient encore par principe, mais leur espoir de réussir avait bel et
bien disparu. Maintenant, ils tentaient surtout de trouver un moyen de ne pas
pénétrer dans le temple en même temps que leur mère et leurs deux soeurs de
manière à pouvoir s'asseoir dans les derniers bancs, à l'arrière. Ainsi, ils
pourraient s'esquiver en catimini dès la fin de la lecture de l'évangile. Pour
y parvenir, il leur fallait d'abord échapper à la surveillance de leur mère, ce
qui était loin d'être aisé..
     
    Aux yeux des deux
adolescents, toutes les ruses étaient permises pour