A l'écoute du temps

lourdement lesté, elle poursuivit, heureuse et la conscience
tranquille, la tournée de ses magasins préférés. Elle eut même la joie de
saluer de la main son Jean-Louis en plein travail dans l'une des vitrines de
Dupuis frères.
     
    À son retour à la
maison, Laurette était d'excellente humeur, même si une petite pluie froide
s'était mise à tomber quelques minutes plus tôt. A peine venait-elle de retirer
son manteau que le téléphone sonna. Gérard, occupé à lire La Patrie, se leva,
dit quelques mots et lui tendit l'appareil.
     
    — Bernard, se
contenta-t-il de dire en posant la main sur l'écouteur. Veux-tu lui parler?
     
    — Ben oui, fit
Laurette en s'emparant de l'écouteur.
     
    — Bonne fête, ma
soeur, lui dit son frère.
     
    — Merci. T'es ben
fin d'avoir pensé à m'appeler pour me souhaiter bonne fête.
     
    — Ben, je me suis
dit qu'il fallait absolument que je t'appelle parce que ça doit pas être drôle
d'être aussi vieille, ajouta-t-il en tentant de faire de l'humour. J'espère que
ça te déprime pas trop.
     
    — Pantoute,
mentit Laurette en esquissant une grimace.
     
    — En tout cas,
moi, j'ai pas hâte d'avoir ton âge.
     
    — Inquiète-toi
pas, tu vas finir par l'avoir, répliqua-t-elle en se rappelant que son frère
n'était son cadet que de trois ans.
     
    J53
     
    — Te rappelles-tu
de la fête que mon oncle Édouard avait donnée pour le quarantième de ma tante
Mathilde?
     
    — Oui. Pourquoi?
     
    — Ben. Tu nous
disais que c'était écoeurant d'être aussi vieille et que, toi, t'accepterais
jamais d'avoir des plis partout et de la moustache.
     
    Il y eut un bruit
de dispute au bout du fil et Laurette entendit la voix de sa belle-soeur
Marie-Ange.
     
    — Bonne fête,
Laurette. Écoute pas ton frère. Il essaye d'être drôle et il l'est pas,
l'innocent. Je suis pas sûre que lui, il va se rendre à quarante ans. S'il
continue à être aussi haïssable, je vais l'étrangler moi-même, de mes propres
mains.
     
    — T'en fais pas
avec ça, rétorqua Laurette. Je sais comment il est.
     
    Les deux femmes
discutèrent encore quelques minutes ensemble avant que Laurette trouve un
prétexte pour raccrocher.
     
    — Ouf! Elle est
ben fine, mais elle était déjà repartie avec ses maudites maladies,
expliqua-t-elle à son mari.
     
    Avant de pouvoir
dresser le couvert avec l'aide de Carole, elle eut encore à répondre aux bons
voeux de son frère Armand et de sa femme Pauline qui avaient projeté de venir
les visiter durant la soirée. Lorsque Laurette leur apprit que Gérard
l'emmenait au théâtre National, ils durent changer leurs plans.
     
    Quand Jean-Louis,
Denise et Gilles rentrèrent du travail et s'attablèrent avec les autres membres
de la famille pour souper, Richard quitta sa place un moment sur un signe de
tête de son père. Il revint dans la cuisine, portant un magnifique gâteau au
chocolat qu'il déposa cérémonieusement au centre de la table, sous les yeux
éblouis de la nouvelle quadragénaire.!54 PERDRE DU POIDS
     
    — Ben, voyons
donc! protesta-t-elle, ravie. Vous avez fait ben trop de dépenses pour ma fête.
Il est tellement beau que c'est presque un péché de le manger, ajoutât- elle
avec une lueur de gourmandise dans le regard.
     
    — On va le manger
pareil, lui annonça son mari, tout heureux des effets de sa surprise.
     
    Denise se leva,
le couteau à la main et commanda:
     
    — On chante
d'abord «Bonne fête, maman» avant que je coupe le gâteau.
     
    — Attends, fit
son père en tirant quatre petites bougies de couleur de la poche de poitrine de
sa chemise. On va planter ça sur le gâteau et les allumer. Il faut d'abord que
la fêtée souffle les chandelles avant de le couper.
     
    Laurette, toute
joyeuse, se leva pour souffler les bougies qui venaient d'être d'allumées. Son
mari et ses enfants chantèrent ensuite. La mère de famille, les yeux humides,
les écouta avec plaisir. Une fois l'air terminé, son aînée trancha de larges
parts du gâteau d'anniversaire de sa mère et les servit.
     
    — J'ai envoyé
Richard acheter le gâteau à la pâtisserie après le dîner, expliqua Gérard. Je
lui avais dit de le cacher dans sa chambre en attendant l'heure du dessert.
     
    — T'es pas
sérieux? demanda Laurette. C'était des plans pour qu'on le retrouve juste au
printemps.
     
    — Aie, m'man!
Exagérez pas. Notre chambre est pas si sale que ça, protesta Richard. S'il y a
des affaires qui traînent, c'est à