A l'écoute du temps

rares cheveux bruns, il était visible que
sa calvitie précoce le préoccupait. La présence d'une petite 176 UNE INITIATIVE
moustache rectiligne à la Clark Gable conférait à la figure de l'ecclésiastique
un air des plus étranges. Lorsque le prêtre aperçut l'adolescent, il fronça les
sourcils.
     
    — Qu'est-ce que
je peux faire pour toi? lui demanda-t-il sans l'inviter à passer dans le petit
bureau voisin.
     
    — J'ai entendu
dire que vous aviez besoin de servants de messe, expliqua Richard d'une voix
mal assurée. Je me suis dit que je pourrais peut-être apprendre à servir la
messe.
     
    — T'as jamais été
enfant de choeur?
     
    — Non, monsieur
l'abbé.
     
    — C'est drôle,
d'habitude, ce sont des enfants de choeur qui veulent devenir servants de
messe. Pourquoi veux-tu servir la messe? Durant un bref moment, l'adolescent
demeura interdit, ne sachant pas trop quoi répondre à cette question inattendue.
     
    — Pourquoi?
répéta le prêtre en le fixant d'un regard scrutateur.
     
    — Ben. Ça me
tente, mentit Richard.
     
    — Et si monsieur
le curé te payait pas pour servir la messe, est-ce que ça te tenterait encore?
demanda le vicaire pour s'amuser un peu aux dépens du postulant.
     
    — Ben là, je sais
pas...
     
    — Au moins, t'es
franc, fit René Laverdière en retenant avec peine un petit rire. Tu connais les
tarifs?
     
    — Non, monsieur
l'abbé.
     
    — On va te donner
vingt cents pour servir la messe de sept heures, quinze cents pour celle de
sept heures et demie et dix cents pour celle de huit heures. T'auras vingt-cinq
cents pour servir un mariage ou un service.
     
    Si t'apprends
comme il faut, tu pourras servir la messe une semaine sur deux ou sur trois.
Mais oublie pas. Nous sommes très sévères sur la ponctualité. Si t'arrives une
177 seule fois en retard, nous allons donner ta place à un autre. T'as compris?
     
    — Oui, monsieur
l'abbé.
     
    — Bon, en tout
cas, t'es bien tombé. C'est moi qui m'occupe des servants de messe.
     
    Richard mit
quelques secondes à revenir de sa surprise tant il avait été certain que
c'était l'abbé Dufour qui était chargé de la formation des servants de messe.
La semaine précédente, le jeune prêtre était venu dans sa classe pour vérifier
leur apprentissage du catéchisme. Il lui avait semblé gentil et pas du tout
sévère comme le vicaire qu'il avait devant lui. Il avait cru, à tort, qu'il
allait lui enseigner comment servir la messe. Mais il était trop tard pour
reculer.
     
    — Viens, lui
ordonna l'abbé Laverdière en ouvrant la porte du petit bureau adjacent. Je vais
te donner les feuilles des réponses que tu devras apprendre par coeur pour la
semaine prochaine. Retiens bien les gestes que tu vas avoir à faire durant la
messe. Tout est expliqué sur les feuilles. Quand tu sauras servir parfaitement
la messe, je te montrerai peut-être à être cérémoniaire puis thuriféraire
durant les cérémonies.
     
    Le prêtre ouvrit
le premier tiroir du bureau et en tira une liasse de feuilles qu'il lui tendit.
     
     
     
    — Lis bien tout
ce qui est écrit, insista-t-il et apprends tout par coeur. Fais aussi attention
aux feuilles, je fais juste te les prêter. Je te donne une semaine pour tout
apprendre. Je t'attends lundi prochain à l'église, à quatre heures et demie,
pour ta première pratique. Sois surtout pas en retard, ajouta-t-il, l'air
sévère. Si t'es en retard, tu seras pas servant de messe, c'est moi qui te le
garantis.
     
    Richard quitta le
presbytère après avoir remercié le vicaire du bout des lèvres. À l'extérieur,
l'obscurité descendait déjà. Il pressa le pas pour rentrer chez lui en 178 UNE
INITIATIVE se demandant s'il avait eu raison de s'arrêter au presbytère.
     
    Pendant un bref
moment, il jongla même avec l'idée de ne pas apprendre à servir la messe. Mais
à la seule pensée de devoir rapporter à l'abbé Laverdière les feuilles que
celui-ci venait de lui prêter et d'avoir à lui expliquer pourquoi il avait
changé d'avis, il renonça.
     
    Le dimanche soir
suivant, chez les Morin, Denise apprit à sa mère qu'elle avait décidé d'épargner
à compter de la semaine suivante pour pouvoir s'offrir un tourne-disques.
     
    Si elle
n'arrivait pas à avoir assez d'argent dans le temps des fêtes, elle l'aurait
sûrement avant la fin du mois de janvier.
     
    — Pourquoi tu
veux dépenser ton argent pour une bébelle comme ça? lui demanda Laurette en
train de ranger les