A l'écoute du temps
Cardinal!
Cardinal! Ça en fait toute une affaire, ça, dit-elle à mi-voix. Il sera pas
plus aimable pour tout ça.
202
L'ANNIVERSAIRE DE MARIAGE La mère de famille se rappelait encore trop bien
l'air hautain et distant de l'archevêque de Montréal quand il était venu
confirmer les enfants de la paroisse. C'est à peine s'il avait daigné jeter un
regard sur les parents venus le saluer après la cérémonie.
Quelques jours
plus tard, la radio et les journaux annoncèrent aux Montréalais l'honneur
extraordinaire que Pie XII venait de faire à l'archevêque de Montréal en le
faisant accéder à la pourpre cardinalice. Si cette nouvelle ne suscita guère
d'émoi chez Laurette et les siens, il en fut tout autrement dans la population
de la province. Pour la première fois, un Canadien français était sacré prince
de l'Église. Dans la métropole, on attendait maintenant avec impatience le
retour de l'élu pour célébrer dignement l'événement.
Chapitre 10 Une
mauvaise nouvelle Les premières neiges de novembre avaient fondu dès la
première apparition du soleil, mais tout était maintenant différent. Décembre
était arrivé avec la première véritable tempête hivernale tombée à la fin
novembre, quelques jours après le défilé du père Noël organisé chaque année par
le magasin Dupuis frères. La neige avait recouvert d'une épaisse couverture
blanche le paysage grisâtre du quartier. Les froids qui avaient suivi avaient
alors figé dans les mares d'eau les déchets que le vent avait poussés contre le
moindre obstacle.
Depuis lors, des
jeunes étaient parvenus à entasser suffisamment de neige dans la grande cour
pour constituer une glissoire haute de quelques pieds. Ils s'y laissaient
glisser à plat ventre sur des bouts de carton en poussant des cris
d'excitation. Les plus braves tentaient même de dévaler la petite pente en
demeurant debout à force de moulinets des bras pour maintenir leur équilibre
précaire.
Dans le quartier,
il régnait depuis quelques jours une joyeuse animation à l'approche des fêtes,
même s'il fallait maintenant se déplacer précautionneusement sur les trottoirs
mal déneigés.
À quinze jours de
la fête de Noël, la rue Sainte- Catherine commençait à prendre un air de fête.
Comme chaque année, la pharmacie Charland, coin Dufresne et 2°5
Sainte-Catherine, avait été la première à arborer des décorations lumineuses
multicolores qui attiraient les passants vers ses vitrines. Dans l'une, on
pouvait déjà admirer un magnifique arbre de Noël au pied duquel s'entassaient
une dizaine de boîtes enrubannées. L'autre suscitait la convoitise de tous les
enfants du quartier parce qu'on y avait suspendu un énorme bas de Noël en
résille rouge qui laissait voir toutes sortes de cadeaux plus alléchants les uns
que les autres. Le commerçant annonçait sur une large banderole entourée de
lumières scintillantes que ce bas ferait l'objet d'un tirage le 24 décembre
suivant.
Fait étrange,
seuls les commerces situés du côté nord de la rue Sainte-Catherine, entre Fullum
et Frontenac, étaient ornés de décorations lumineuses. Les propriétaires de la
biscuiterie Oscar, du magasin de fruits Laurencelle, de l'épicerie Tougas et
même de la salle de billard avaient jugé bon d'imiter le pharmacien, sans
toutefois parvenir à l'égaler, loin de là. C'était tout de même moins terne que
la pauvre couronne de houx suspendue à la porte de la banque d'Épargne et le
petit père Noël en plastique dans la vitrine de la pâtisserie, de l'autre côté
de la rue. Le pire était la blanchisserie tenue par des Chinois dont les
vitrines obstruées par du papier brun donnaient le cafard.
Les mains
enfouies au fond de ses poches et la cigarette au bec, Richard Àlorin attendait
sa petite amie devant l'église Saint-Vincent-de-Paul ce jeudi après-midi-là. Il
avait relevé le collet de son manteau et enlevé sa tuque pour avoir l'air plus
affranchi. Il ne se gênait plus pour se vanter auprès de ses copains de sortir
«sérieusement» avec Monique Côté depuis maintenant plus d'un mois.
Dans son cas,
sortir sérieusement était une bien grande expression puisqu'il se limitait
toujours à l'attendre à la fin de chaque après-midi pour lui prendre la main et
206 UNE MAUVAISE NOUVELLE l'accompagner jusqu'à la maison voisine de celle
qu'elle habitait, coin De Montigny et Fullum.
Depuis leur
première rencontre, les deux
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