A l'écoute du temps
adolescents avaient joui d'une chance insolente
parce que leurs parents ignoraient encore tout de leur amourette. Aucune
indiscrétion d'une amie ou d'une camarade n'avait mis la puce à l'oreille des
parents de Monique. Très sévères, ces derniers ne toléraient aucune visite de
camarades de classe à la maison et la jeune fille n'avait pas d'amie. Ils
avaient bien croisé à deux ou trois reprises Louis Nantel, l'instituteur de
Richard, mais l'adolescent avait jugé ces rencontres sans danger et ne s'était
même pas donné la peine de lâcher la main de Monique en ces occasions, tant il
était fier de montrer qu'il avait une petite amie.
Cependant,
Richard risquait davantage d'être démasqué que sa petite amie. Après tout, sa
soeur Carole fréquentait la même école de la rue Sainte-Catherine et aurait
bien pu croiser le couple si elle n'avait pas toujours emprunté la rue Dufresne
et la ruelle Grant pour rentrer à la maison.
Cependant, il
restait Gilles et c'était encore un pur hasard qu'il ne l'ait pas surpris au
moins une fois en compagnie de sa belle.
Cet
après-midi-là, quand Monique arriva, la tête protégée par une jolie tuque,
l'adolescent fit quelques pas pour aller à sa rencontre.
— Tu devrais te mettre
quelque chose sur la tête, lui dit-elle, maternelle, en lui voyant les oreilles
rougies par le froid.
— Ben non, il
fait pas si froid que ça, fit Richard en s'emparant du sac d'école de son amie.
— Vas-tu encore
servir la messe la semaine prochaine?
— Non. L'abbé
Laverdière a décidé qu'on servirait la messe une semaine sur deux parce qu'on
est trop de 207 servants de messe. Il va falloir que je me trouve une autre
job, c'est pas assez payant.
Les deux jeunes
firent quelques pas en silence. Le flot des élèves en provenance de l'école
Champlain était maintenant presque tari. Ils traversèrent la rue Sainte-
Catherine.
— Puis, est-ce
que t'as pensé à ce que je t'ai demandé? demanda Richard.
— Oui, mais je
pense pas être capable d'avoir la permission de ma mère.
L'adolescent
avait demandé à Monique de trouver une raison pour s'esquiver de la maison une
heure, le samedi après-midi suivant, dans l'intention, bien innocente, de
déambuler dans les rues du quartier.
— Pourquoi? demanda-t-il,
dépité.
— Parce que ma
mère et mon père me donneront jamais ce genre de permission-là. Le samedi, on
fait le ménage à la maison. Les seules fois où je peux sortir, c'est quand ma
mère ou mon père m'emmène faire des commissions.
— Maudit, t'es
dans une vraie prison! s'exclama Richard. Quand est-ce qu'on va se voir si tu
peux jamais sortir de la maison?
— Je le sais pas,
avoua la jeune fille en prenant un air malheureux.
L'adolescent
était si occupé à dissimuler sa vive déception qu'il n'accorda aucune attention
à celui qui dut faire un écart pour l'éviter.
— Tu pourrais
regarder où tu marches, coque-l'oeil! dit Gilles, moqueur, en ne faisant pas
mine de s'arrêter.
Richard sursauta
en reconnaissant brusquement son frère aîné qui poursuivit sa route comme si de
rien n'était.
— Sacrement! Mon
frère! jura Richard, les dents serrées. Il manquait plus que ça.
208 UNE MAUVAISE
NOUVELLE
— C'est ton
frère? demanda Monique, étonnée.
— Oui. Mais c'est
pas un porte-panier, inquiète-toi pas. Mais il faut que j'aille lui dire de
fermer sa boîte, ajouta-t-il en lui tendant son sac d'école.
— T'as peur de te
faire chicaner?
— Ben non, mentit
Richard en adoptant un air crâneur.
Mais je voudrais
pas que ma mère vienne parler à la tienne.
En l'entendant,
Monique blêmit.
— Inquiète-toi
pas, répéta-t-il, je vais lui parler.
Comme Monique
était presque rendue à destination, il la planta là et courut derrière Gilles.
Ce dernier, même s'il entendit des pas précipités derrière lui, ne se donna pas
la peine de se retourner ou de s'arrêter. Son frère, un peu essoufflé, s'arrêta
à ses côtés.
— Qu'est-ce que
tu faisais si tard à l'école? lui demanda Richard.
— Robillard
Voulait me parler après l'école.
— Pourquoi tu marches
si vite que ça?
— Je suis gelé et
j'ai hâte d'arriver.
De toute
évidence, Gilles attendait qu'il se décide à parler de la fille avec qui il
était quelques instants auparavant.
Après une brève
hésitation,
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