A l'écoute du temps
toujours
reçu les siens au jour de l'An. La maison de Saint-Hyacinthe était alors
abondamment décorée et un sapin de Noël surchargé trônait dans le salon.
Laurette détestait ça. Il fallait rendre les invitations reçues et on n'en
finissait plus.
Évidemment,
Gérard avait tenté d'instaurer toutes ces traditions dans sa propre famille
malgré le peu d'enthousiasme et les réticences de sa femme. Au fil des années,
cette dernière avait fini par accepter de préparer un petit réveillon sans
prétention pour le retour de la messe de minuit, la veille de Noël, et un repas
au jour de l'An auquel elle conviait parfois ses frères quand elle ne pouvait
faire autrement. Toutefois, depuis quelques années, elle avait renoncé à
l'arbre de Noël installé dans un coin de la cuisine.
Selon elle, cela
allait de soi dès qu'il avait fallu sacrifier le salon pour le transformer en chambre
à coucher.
— On pourrait
peut-être faire un spécial cette année, finit par dire Gérard en levant le yeux
de son journal. On a encore une boîte de décorations dans la cave.
— Où est-ce qu'on
va le mettre, cet arbre-là? demanda Laurette, bougonne. On n'a pas de place.
— Ici, à la place
de ma chaise berçante.
— Ça va être le
fun en maudit, cette affaire-là. Je vais l'avoir dans les jambes du matin au
soir et il va y avoir des aiguilles partout.
— Voyons, la
mère, arrête donc de te lamenter cinq minutes, la réprimanda son mari avec une
certaine 212 impatience. Pense plutôt comment ça va faire gai dans la maison.
— En tout cas, si
tu décides d'en acheter un, prends-le pas trop gros, sinon on va passer notre
temps à s'accrocher dedans, répliqua Laurette, mécontente.
Le silence revint
dans la cuisine durant quelques instants. Au moment où Carole demandait à sa
mère de lui faire réciter ses réponses de catéchisme, Gérard s'adressa à
Jean-Louis, toujours penché sur son livre.
— Pendant que j'y
pense, lui dit-il. Le vieux Bois-Vert prend sa retraite demain soir. Il va y
avoir une job à prendre. Est-ce que ça t'intéresse? ha job du bonhomme est pas
trop dure.
— Merci, p'pa. Je
pense que je vais continuer à travailler chez Dupuis, répondit Jean-Louis.
— Tu gagnerais un
peu plus à la Dominion Rubber, intervint sa mère, en cessant un moment
d'interroger Carole.
— Je le sais,
m'man. Mais mon boss m'a dit qu'il y aurait une job d'assistant comptable de
libre à la fin de janvier.
C'est une job de
bureau. J'ai l'intention d'essayer de l'avoir.
Si j'ai cette
job-là, je vais avoir un meilleur salaire sans avoir à me salir les mains.
— Mais t'as pas
pantoute les études pour faire ça, lui fit remarquer son père sur un ton
brusque.
Gérard Morin
était mécontent de constater que son fils repoussait son offre avec un mépris
évident.
— C'est pour ça
que je suis allé voir monsieur Dorion, le comptable, la semaine passée,
expliqua Jean-Louis qui ne semblait pas avoir remarqué le mécontentement
paternel. Il m'a prêté ce gros livre-là. Il m'a dit que si j'étais capable de
comprendre ce qui était expliqué là-dedans, il y avait de grosses chances qu'il
me donne la job.
J'en ai aussi
parlé avec un gars qui travaille, lui aussi, aux 213 comptes. Il m'a promis de
me donner un coup de main pour avoir celle-la.
— Fais à ta tête,
mon gars, mais viens pas te plaindre plus tard que j'ai jamais essayé de
t'aider, dit son père en retournant à la lecture de son journal pour bien
montrer que, pour lui, le sujet était clos.
— Ce serait mieux
payé qu'étalagiste? demanda Laurette.
— Dupuis me
donnerait jusqu'à quarante piastres par semaine, m'man, dans deux ou trois ans.
— On rit pas, dit
sa mère, surprise. Ça, ce serait tout un salaire! Je t'encourage à étudier, mon
Jean-Louis. Je suis sûre que t'es capable de l'avoir. C'est beau d'avoir de
l'ambition dans la vie et de pas se contenter tout le temps de ce qu'on a.
Gérard saisit la
critique implicite contenue dans la dernière remarque de sa femme et son visage
se ferma.
Après vingt-deux
ans de travail à la Dominion Rubber, il ne gagnait que trente-cinq dollars par
semaine, ce qui était nettement insuffisant pour faire vivre une femme et cinq
enfants.
— Si c'est comme
ça, reprit-il sur un ton neutre, en abaissant son journal pendant un moment, je
pense que je vais avertir le
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