A l'ombre de ma vie
c’est le pire des crimes. Je sais qu’ici il y a une véritable
industrie du kidnapping, que certaines histoires se terminent par des horreurs,
la mort des personnes enlevées ou la mutilation, pour servir de preuve de vie,
avant une demande de rançon. Je sais tout ça mais je ne connais pas encore le
détail de toutes les accusations qui seront portées contre moi à mesure que mon
histoire se compliquera. Saleté de délit qui me colle à la peau ! Et plus
encore ici, avec ce tee-shirt. Quand mes voisines de cellule sont parties, j’ai
demandé à rester seule. Certaines étaient accusées d’avoir attaqué un fourgon
blindé, et d’autres de trafic de drogue. L’une d’entre elles m’avait laissé un
tee-shirt jaune avant de partir et je le portais la nuit pour dormir. Quand un
gardien me l’a fait remarquer, sans me l’interdire pourtant, je lui ai juste
dit que je dormais mieux en « narcotrafic ». Il a laissé tomber.
Pendant tout décembre et janvier, je n’ai qu’un pantalon et
une seule chemise à me mettre quand je suis en cellule, lorsque je peux me
débarrasser du tee-shirt rouge. Mes parents m’envoient des vêtements, mais ils
ne me parviennent pas. Ils leurs sont même retournés. Je le sais parce que j’ai
droit à trois coups de téléphone de dix minutes par jour et c’est toujours eux
que j’appelle. Pendant trois mois, je les appellerai en PCV et chaque fois ils
seront là, à m’écouter, à essayer de me comprendre. Ma mère a même l’idée
d’enregistrer nos conversations et, un jour, elle me demande de raconter mon histoire.
Je reprends tout depuis le début, la route qui part du ranch, l’arrestation, la
nuit, le montage de l’AFI, et tout cela s’imprime encore une fois dans mon
esprit sans que je comprenne pourquoi tout cela m’arrive à moi.
On me dit que je suis ici parce qu’il n’existe pas de
preuves contre moi, que la police est chargée d’en trouver et qu’elle a trois
mois pour cela. Alors, je me dis qu’ils vont se rendre compte, que s’ils
cherchent vraiment à savoir, ils réaliseront que j’ai vécu seulement quelques
mois avec Israël, que je n’étais pas toujours au ranch, et que s’il a détenu
des gens, ce n’était sûrement pas là !
Chaque journée qui passe me pèse un peu plus. Même si je me
confie à ma mère, je ne peux pas tout lui dire. Je ressens le désarroi de mes
parents, je sais qu’ils sont fous d’inquiétude, alors je ne veux pas trop
ajouter à leur peine. Je prends sur moi, c’est mieux comme ça. En fait, je suis
toujours aux abois, incapable de me raisonner, de surmonter cette peur qui me
fait trembler sans cesse. Au moindre bruit incongru, je sursaute. Les autres
s’en rendent bien compte et certaines ne me ménagent pas.
Il faut absolument que j’arrive à surmonter cela, à ne plus
montrer ma peur.
Parfois, l’après-midi, nous avons le droit de sortir, pour
une promenade. Mais quelle promenade ! On nous emmène dans un hangar
sombre et humide où celles qui ont trouvé le moyen de s’acheter des cigarettes
peuvent fumer. Il y a un distributeur de boissons et de sucreries, aussi, mais
il faut tout manger sur place. Ça me fait du bien de sortir, même si cet
endroit sinistre me met mal à l’aise : c’est sale, plein de bêtes, et
l’agressivité de certaines détenues me noue les tripes.
Au-delà des accusations portées contre moi, la solitude me
pèse aussi. Je souffre de n’avoir personne à qui parler, même pour dire des
choses banales, et de voir les autres filles de ma cellule descendre toutes en
même temps, à l’heure des visites, et me laisser seule pour l’après-midi.
Une nuit, alors que tout le monde dort, on vient me
chercher. Le directeur de la prison veut me voir, me dit-on, et je me demande
bien pourquoi, alors qu’il est deux heures du matin, mais j’ai appris qu’ici
tout est possible. Il est dans son bureau, un grand type costaud, avec des
muscles incroyables, et devant lui s’étalent des papiers que je ne reconnais
pas, d’abord. Il me parle sans me regarder ; il y a quelques gardiens
autour de moi, mais ils ne me brusquent pas. Et puis je comprends qu’il veut
que je signe un document, mais je ne sais pas bien ce qui est écrit. En fait,
certains des papiers devant moi m’appartiennent, et d’autres sont à Israël. Ce
sont des photos, des relevés de compte, des choses comme cela. Je n’ai pas
envie de signer, je recule le moment, mais il insiste ;
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