A l'ombre de ma vie
une
voiture avec des policiers de l’AFI, et la peur au ventre revient : je
suis incapable de me raisonner ou de m’empêcher d’imaginer le pire. Et les
quartiers que traverse la voiture, au fil de son parcours, sont de plus en plus
inquiétants. Des rues sales, des trottoirs jonchés de pièces automobiles, de
carcasses de motos, et des hommes au milieu de la rue, qui s’écartent à peine
devant la voiture des policiers, comme par défi. J’attrape parfois leurs
regards noirs qui me plongent encore plus dans l’angoisse de ce qui va
m’arriver. Soudain, la voiture tourne à droite, dans une rue plus large :
je vois la silhouette massive, cauchemardesque d’un pénitencier, avec ses hauts
murs blancs et ses miradors, du fil de fer barbelé qui court tout le long des
murs et cette vaste esplanade qui y mène, comme s’il n’y avait pas d’autre
solution. C’est la prison pour femmes de Santa Martha Acatitla. Sans doute la
plus connue du Mexique. La plus terrifiante, en tout cas, d’après ce qu’on m’a
dit à l ’arraigo. J’avais raison de craindre le pire. À ma descente de
voiture, on m’ôte les menottes et j’entre dans la prison sous le regard de
quelques caméras.
Qui a bien pu prévenir les journalistes ? Et
pourquoi ?
Je ne vais pas me le demander longtemps. Les gardiens sont
tous en uniforme noir, et ils me disent immédiatement que je dois les appeler jefe – « chef ». Je n’en reviens pas ! Cela me révolte
d’être obligée de les appeler ainsi, tous ces arrogants, méprisants,
ouvertement hostiles, qui semblent avoir tous les pouvoirs. Ce sont sans doute
eux qui ont appelé les médias : ils me font comprendre d’emblée qu’ils me
connaissent, qu’ils m’ont vue à la télévision, ces derniers temps, et qu’ils ont
tout compris : je suis la Française ravisseuse d’enfants, ils ne me feront
pas de cadeau. Il n’y a aucun doute sur ce qui m’attend.
Les types de l’AFI m’ont déposée là et ils sont repartis. Je
suis maintenant entre les mains de ces jefes silencieux et patibulaires
qui me poussent le long d’interminables couloirs sombres et sales, où les
odeurs se mêlent sans qu’on puisse vraiment les reconnaître. Une seule chose
est sûre : le mélange est écœurant, j’en ai la nausée. À l’étage, on
marche encore un moment dans la pénombre et ils s’arrêtent devant une rangée de
cellules fermées. Le couloir est vide, à l’exception d’une seule garde, sans
doute la responsable de l’étage.
— Je t’explique les règles : ici, si tu te
comportes bien, il ne t’arrive rien. Si tu ne te comportes pas bien, ce n’est
pas pareil. Tu le regrettes rapidement et, crois-moi, tu ne fais pas le poids,
me prévient-elle.
Je veux bien la croire ! J’ai tellement peur que je ne
peux pas répondre. Alors, l’autre enchaîne :
— Tu vois, elle, elle a compris. Elle se comporte bien
et on la laisse tranquille.
Je me retourne vers la personne dont il me parle. Je pousse
un hurlement que je n’ai même pas pu retenir. C’est plus fort que moi. La femme
que je vois se tient debout, dans le noir, derrière la grille de sa cellule, et
ses yeux terrifiants me fixent durement. C’est un monstre. Elle mesure au moins
un mètre quatre-vingt-dix, on dirait une catcheuse, avec des mains comme des
battoirs et des bras énormes. C’est la Mataviejitas , la « tueuse de
vieilles ». Je ne peux pas me tromper : depuis le mois de décembre,
on la voit sans cesse à la télévision. C’est bien simple : il n’y en a que
pour elle et moi, depuis trois mois. Elle a une tête incroyable de tueuse, des
mâchoires fortes et serrées, des yeux enfoncés qui me glacent. J’ai
l’impression d’être dans un film d’horreur. Je n’arrive pas à me détacher de ce
regard et j’entends le gardien qui continue :
La Mataviejitas , elle se tient tranquille et tout va
bien pour elle. Il faut que tu t’en inspires…
On me pousse alors dans la cellule voisine. Je me retrouve
seule. J’essaie de contrôler l’effroi qui me secoue et me donne envie de
pleurer : « OK, je suis là, il y a la Mataviejitas à côté,
mais la grille est fermée, tout va bien… » Il fait un froid de canard, je suis
assise sur une paillasse en fer, je ne sais pas quelle heure il est et j’ai mal
à la tête. Est-ce la peur ? Ou peut-être l’odeur ? Je suis perdue. Je
reste toute la nuit comme ça, les bras croisés, serrés contre moi pour avoir
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