A l'ombre de ma vie
femme d’allure masculine, les cheveux courts, jamais
maquillée, toujours en pantalon serré. Quand je suis arrivée devant elle, pour
l’histoire du dessin, elle m’a dit qu’elle pouvait arranger ça. La voix sourde,
elle s’est approchée et je n’en menais pas large.
— Ne t’inquiète pas. Je peux faire quelque chose pour
toi…
Je n’ai rien dit, rien fait. Je n’osais pas bouger, j’étais
tétanisée et nous sommes restées comme cela un long moment. Je ne savais pas ce
qu’elle allait faire, ce qu’elle allait dire. Je pensais juste à la gardienne
en chef, celle qu’on appelle « la commandante », qui m’avait dit que
j’irais au trou pour ce dessin. Au trou ! C’était terrifiant. Des filles
avec lesquelles j’avais parlé, dans les couloirs, m’avaient dit que « la
commandante » était la plus dure, la plus crainte, mais aussi la compagne
de la directrice. On m’avait dit qu’elle prenait très mal mes convocations à
répétition. Il courait les bruits les plus sordides à propos de ces deux
femmes, j’en avais une peur bleue. Devant le conseil de discipline, je n’ai pas
osé me défendre et je n’ai rien dit. Je suis donc allée au trou.
Je ne pensais pas pouvoir tomber plus bas, je me trompais.
Ce qu’on appelle le trou, c’est une rangée de cellules encore plus spartiates,
plus nues, plus étroites que les autres. À l’intérieur, on peut à peine tourner
autour de la paillasse en béton, avec juste un trou à côté, pour les toilettes,
et un lavabo. De la cour, on voit cette tour et nous savons toutes que c’est
là, le trou, et que les filles qui y sont vivent des moments terribles. Et
voilà qu’à présent c’est à mon tour. Mais où tout cela va donc s’arrêter ?
Non seulement je suis dans ce pénitencier, mais au trou, maintenant, le fond de
l’enfer ! Je pleure de plus belle, entre la panique et le désespoir.
Quand j’arrive, avec juste un petit sac dans les bras, on me
pousse dans une cellule, la première de la rangée. Pendant qu’on fouille mon
sac, j’ai la peur au ventre et je sais que je ne dois pas le montrer. Une fille
au regard un peu fou s’avance vers moi. Elle me tend la main :
— Moi, c’est Kitty.
— Moi, c’est Florence.
Je la regarde droit dans les yeux. Elle doit bien le voir
que j’ai envie de pleurer et de m’effondrer, mais tant pis.
Un instant, elle m’a semblé inquiétante :
— On va te souhaiter la bienvenue, tu sais…
J’ai senti mes jambes se dérober et à ce moment la gardienne
m’a tendu mon sac et je suis entrée dans cette minuscule cellule. Je n’avais
pas baissé les yeux, pas lâché son regard. Elle m’a regardée poser mon sac et
après un instant sa voix s’est faite moins menaçante. En tout cas, c’est ainsi
que je l’ai sentie :
— Ne t’en fais pas, tu vas être bien, je m’en occupe.
La première qui t’embête ici, tu me le dis et je la tue, c’est aussi simple que
ça.
Pourquoi me dit-elle ça ? Je ne lui ai rien demandé.
C’est encore plus inquiétant, finalement, après tout ce que j’ai déjà vu ici. Je
me dis que c’est encore une lesbienne et que le lendemain elle va peut-être me
violer…
Je reste un mois et demi au trou. Mais c’est une période où
je vais presque tous les jours à l’audience, donc ça ne change pas grand-chose.
Le soir, je rentre tard, exténuée, et je m’effondre de sommeil. Le matin, je me
lève à cinq heures et demie pour repartir par le fourgon cellulaire. Le pire,
en fait, c’est l’obscurité. Il n’y a pas de fenêtre, pas la moindre ouverture,
et ce n’est que rarement éclairé par une faible ampoule.
Ce n’était déjà pas formidable dans mon ancienne cellule,
mais là c’est pire. Je deviens incapable de savoir si c’est le jour ou la nuit.
Même ma mère a remarqué que ces conditions étaient sordides. Lors de sa
dernière visite, elle a réussi à regarder ma cellule en se rendant aux
toilettes. Lorsqu’elle est revenue s’asseoir dans la salle des visites, j’ai
bien vu que cette découverte l’avait bouleversée.
Le procès continue, les audiences se succèdent. Totalement
creuses, parfois, ou très animées à d’autres moments, mais jamais accablantes
pour moi, dont on ne parle pas si souvent, au fond. C’est surtout Israël qui
est sur le gril – et encore, il ne semble pas que les preuves s’accumulent
contre lui. Dans la salle, on n’a toujours pas vu la juge chargée de rendre
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