A l'ombre de ma vie
la
sentence. On me dit que c’est ainsi : les juges sont débordés, ils ont
beaucoup de dossiers en même temps, et ils sont tenus au courant par les
secrétaires qui siègent à leur place et leur font une synthèse. Au bout du
compte, c’est sur des faits rapportés qu’ils jugent. Tout cela ne me rassure
qu’à moitié, mais je n’ai pas le choix, et c’est comme pour tout le
reste : je ne peux rien y faire. Parfois, on m’amène au tribunal chaque
jour pendant deux semaines d’affilée, et puis on me laisse tranquille pendant
les trois semaines qui suivent. Je crois que c’est l’emploi du temps des juges
qui décide ainsi que les vacances des uns et des autres. Il y a aussi toutes
ces audiences reportées ou annulées parce que les témoins ne se déplacent pas.
Ils sont d’ailleurs nombreux dans ce cas. On dit qu’ils ont peur, qu’ils
subissent des pressions, et parfois ils préfèrent tout simplement disparaître
que témoigner devant un tribunal. C’est souvent le cas dans notre procès et
j’ai l’impression que cela n’atteint pas mon avocat. Mes rapports sont à
nouveau tendus avec M e Jorge Ochoa. Il n’est pas toujours là, semble
prendre les choses à la légère, et j’ai l’impression qu’il se moque bien de
démontrer mon innocence. C’est pourtant ce à quoi je tiens par-dessus tout.
C’est pour voir prouver mon innocence que je parviens à endurer tout cela, je
voudrais qu’au moins mon avocat donne l’impression d’y croire aussi. Au lieu de
cela, il me parle de ses honoraires, me dit qu’il a plus important à faire et
laisse passer lors des audiences des choses qui me font bondir.
Au fur et à mesure, je m’aperçois qu’il peut exister une
forme de solidarité au pénitencier. Comme cette femme tout à fait surprenante
qui s’est rapprochée de moi dès le début. J’ai tellement besoin d’un peu de
sécurité. Ce n’est pas une vie d’être dans l’angoisse permanente. La peur qui
me colle au ventre vingt-quatre heures sur vingt-quatre me rend malade. Alors,
même si je vois bien qu’il y a autour de cette femme-là comme un parfum
mafieux, une sorte d’obéissance des autres détenues qui laisse penser qu’elle a
l’envergure d’un chef de gang, je réponds à ses questions, je prends ce qu’elle
me donne. J’ai déjà reçu du savon, du shampooing, des serviettes, un peu de
linge qu’elle a obtenu en un clin d’œil. Toujours la force de l’argent, ici
encore plus qu’ailleurs, peut-être. Une fois, nous étions toutes les deux dans
un couloir, elle a planté son regard dans le mien, j’en ai eu des frissons
tellement elle m’impressionnait. D’une voix ferme, elle m’a demandé si j’avais
quelque chose à voir avec tout cela, et sans baisser les yeux je lui ai dit
« Non ». Fermement. Elle a fini par m’expliquer que c’est Israël qui
lui a parlé de moi, à l ’arraigo. Leurs cellules étaient au même étage,
au-dessus du mien. Je ne l’ai jamais croisée, mais elle savait que j’étais là,
puisqu’on parle de moi tous les jours à la télévision. Surtout après mon coup
d’éclat dans l’émission de Denise Maerker. Ce coup-là m’a fait autant de mal
auprès du gouvernement et de Genaro Garcia Luna qu’il m’a rendue populaire
parmi les détenus. Aussi, quand Israël lui a dit que je n’étais pour rien dans
tout cela, qu’il lui a demandé de m’aider, elle a eu envie de me connaître.
Elle est arrivée deux jours après moi à Santa Martha. Elle a immédiatement fait
savoir que j’étais sous sa protection. Je sais maintenant que c’est grâce à son
intervention qu’il ne m’est rien arrivé de pire.
Tout s’écoule au rythme de mon procès et de mon quotidien au
pénitencier. Et puis on vient m’annoncer que je change de prison. Je ne sais
pas ce que je dois en penser. Depuis longtemps, on m’a dit que je ne pouvais
rien connaître de pire que Santa Martha, mais j’ai aussi appris à me méfier.
Depuis le 8 décembre – cela fait maintenant près de six mois –, tout est allé
de mal en pis. Je ne sais toujours pas si je toucherai un jour le fond de cet
enfer. Mais ce changement est peut-être une bonne chose, parce qu’on me dit que
c’est en lien avec mon mal de dos. Depuis mon séjour au trou, j’ai des douleurs
terribles. Le médecin de la prison pour femmes de Tepepan m’a fait quelques
radios, et surtout une recommandation pour des soins et un suivi régulier. Je
n’étais allée
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