A l'ombre de ma vie
là-bas qu’en consultation, je ne pensais pas y revenir un jour.
Pourtant, c’est bien là qu’on me transfère, parce que cette prison est
médicalisée et que l’Administration, dans sa grande bonté, a fini par prendre
mon état en considération.
C’est une petite prison à taille humaine. Rien à voir avec
Santa Martha et ses milliers de détenues. Ici, il n’y a que cent vingt
femmes ; le régime est moins strict, les locaux moins sordides. Dans mon
souvenir, l’endroit était beaucoup plus agréable que tous ceux que j’avais
connus ces derniers mois. Mais à mon arrivée sur place, nouvelle désillusion.
On me jette dans une zone d’attente où je dois rester le temps de passer
quelques tests. La direction de cette prison veut savoir à qui elle a affaire.
Ce n’est pas un régime de faveur, c’est la même chose pour tout le monde. Une
infection, cette zone d’attente ! C’est presque aussi sordide qu’au trou
de Santa Martha. Ma descente n’en finit pas. C’est idiot, mais j’en suis
presque à regretter le pénitencier. C’est fou comme on peut prendre des
habitudes, ou au moins des repères, même dans les situations les plus
désespérées, et s’y attacher, en éprouver une certaine sécurité. Ici, je me
sens de nouveau perdue. Je suis dépassée, incapable de me faire ma propre idée
de ma situation.
C’est le début du mois de juin. On vient me chercher pour me
monter dans ma cellule après cinq jours dans la zone d’attente. On me dit
calmement, sans agressivité, que je vais rejoindre le dortoir numéro 1 et que
c’est le plus calme. Ce sont les entretiens avec le psychologue qui ont
déterminé mon affectation. Pour la première fois depuis six mois, j’ai l’impression
d’être considérée comme un être humain, tout bêtement respectée. Je ne sais pas
ce que cela cache, mais je n’ai pas envie d’y penser. Je me laisse entraîner et
c’est une énorme surprise quand j’arrive dans ce dortoir. D’abord, il n’est pas
collectif : c’est un ensemble de cellules fermées, le long d’un couloir
lui-même terminé par une grille. En tout cas, je vois arriver vers moi une
dizaine de filles souriantes. Et avec elles, comme une apparition, ma
protectrice de Santa Martha en personne ! Ici aussi, elle semble avoir une
autorité sur les autres : c’est sans doute naturel chez elle, et sa
réputation doit y être pour beaucoup. Je ne sais toujours pas exactement
pourquoi elle est en prison, ni ce qu’elle fait de sa vie quand elle est
dehors, mais elle semble être connue de tout le monde. Et elle n’est pas dans
le besoin. On a même l’impression que rien ne lui est impossible. Dès que je
franchis la grille, les filles m’entourent. Des filles avec le sourire,
gentilles, accueillantes, qui m’aident à porter mes sacs et me montrent la
cellule numéro 12, qui va devenir la mienne. On se croirait dans une maison.
Les murs sont peints, les sols sont propres et les filles ont décoré leurs
cellules. Pas grand-chose, juste quelques cadres, des dessins, mais cela change
tout. Je me retrouve dans un endroit civilisé, débarrassé de cette violence
continue qui me harcelait à Santa Martha. On me sert un Coca, des filles se
présentent et je remarque tout de suite le sourire gentil de Soraya, une
Colombienne un peu plus âgée que moi. Une femme dynamique, avec de longs
cheveux bruns, un joli visage bruni. Je ne sais pas pourquoi elle est là, mais
c’est le genre de fille qu’on aimerait rencontrer dehors, avec qui on a envie
de se poser un moment pour discuter parce qu’elle est avenante. J’avais presque
oublié à quel point j’aime ça. Parler, me faire des amies, juste pour un moment
parfois, mais j’ai toujours fonctionné comme ça, dans mes rapports avec les
autres.
Ce mercredi soir est une bénédiction. Je n’avais même pas
osé espérer cela. On dirait une nouvelle vie. Une des filles m’a préparé de
l’eau chaude pour que je puisse me laver. Après, on me sert un café. Chaud.
Dans une vraie tasse. C’est inouï comme on apprécie des choses dérisoires,
parfois. Et j’ai des draps dans mon lit, et un pyjama.
C’est une période où je vais moins souvent au tribunal. J’ai
l’impression de me reposer. Ce n’est pas qu’une impression, d’ailleurs. Pour la
première fois, je dors. Énormément. Les jours sans audience, je ne fais même
que cela, au début. Très vite, une blague court dans le dortoir numéro 1 :
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