A l'ombre de ma vie
dort, et cela lui donne faim. Alors, elle mange et cela la fait
dormir… » C’est fou comme ça fait du bien de rire ! Petit à petit, je
reprends confiance en moi. Et les filles, autour de moi, m’ont toutes dit
qu’elles sont convaincues de mon innocence. En fait, je m’aperçois que mon
histoire est très connue dans la prison. Les gens de la direction, les
gardiens, les détenues, tout le monde me connaît ; et lorsque je dis que
je n’ai rien à voir avec cette histoire, que je n’ai jamais enlevé personne et
que je n’avais pas la moindre idée qu’Israël pouvait en être capable, on me
croit. Souvent, on parle de mon dossier, ensemble. Les jours où je rentre du
tribunal, il y a toujours une fille ou deux qui me demandent comment ça s’est
passé, ce que j’ai appris ou qui j’ai vu. Elles s’intéressent à l’avancement de
mon affaire. Pour la première fois, je suis entourée de personnes qui me
donnent confiance. Elles me disent toutes que je ne serai pas condamnée.
Pourtant, depuis l’élection de Felipe Calderón à la présidence de la
République, Genaro Garcia Luna, l’ancien directeur de l’AFI, l’homme que j’ai
contredit en direct dans l’émission de Denise Maerker, est devenu ministre de
la Sécurité publique. Un peu l’équivalent du ministre de l’Intérieur en France.
Ici, il a la réputation d’être très puissant, et celles qui sont emprisonnées
pour leurs liens avec les cartels n’hésitent pas à dire qu’il est mouillé
jusqu’au cou. Je n’en sais rien. Je sais seulement que je suis innocente et que
cet homme m’en veut.
Un autre qui n’a pas bonne réputation, c’est mon avocat. Au
fil des jours, quand je raconte mon histoire, quand je répète ce que j’ai
entendu au tribunal, mes nouvelles copines sont convaincues d’une chose :
il faut que j’en change. Elles n’ont pas de mal à me convaincre, mais je ne
sais pas comment faire. Je n’oserai jamais lui dire en face que je ne veux plus
de lui, je n’ai jamais fait une chose pareille. J’en parle à mon père, mais il
n’est pas d’accord. Pas en plein procès ! Heureusement, ma mère est mon
alliée dans cette affaire. C’est grâce à elle que je vais oser. Un jour, lors
d’une suspension, elle vient me parler d’un avocat qu’elle a rencontré, M e Horacio Garcia, qui trouve l’attitude d’Ochoa très surprenante. Il nous apprend
que c’est un ancien flic, que tout le monde le sait, et qu’il est resté en
relation avec ses anciens collègues et les magistrats qui ne sont pas toujours
en accord avec la défense de ses clients. Ma mère pense qu’Horacio est
différent. Il lui a fait l’effet d’un homme plus responsable, plus indépendant,
certainement moins porté sur les arrangements et les mensonges. Mais elle ne
sait pas comment faire pour changer, Ochoa semble tenir à me défendre encore.
Pour lui, c’est un beau dossier, notre affaire est régulièrement médiatisée et
il soigne sa réputation. Mais je n’ai que faire de sa réputation et de ce qu’il
peut bien penser. Je suis là à subir des traitements indignes, humiliants, à
longueur de temps, et il n’a jamais levé le petit doigt pour intervenir de la
moindre manière. Il semble considérer tout cela comme normal, que je peux bien
subir les pires choses et que ce n’est pas son affaire. Alors, quand il
s’approche, sans doute pour savoir de quoi me parle ma mère, j’explose :
— Je ne vous supporte plus ! Vous ne mettez aucune
conviction à me défendre, tout ce qui vous intéresse, c’est d’être payé en
temps et en heure. Vous ne m’avez jamais aidée et je ne veux plus de vous. Si
je continue avec vous, je ne sortirai jamais d’ici, je l’ai bien compris. Allez
vous faire foutre avec votre amparo final !
Ce n’est pourtant pas dans ma nature de m’emporter ainsi. Je
n’avais jamais osé faire une chose pareille, jamais osé parler à quiconque de
cette manière. Je vois ma mère face à moi qui est stupéfaite, peut-être un peu
gênée. Sa fille est plutôt timide, et habituellement c’est elle qui est capable
de franchise face aux gens.
Ochoa comprend que je suis hors de moi. C’est toute ma
souffrance qui sort, cet indescriptible sentiment d’une profonde injustice que
je voudrais qu’il combatte et face à laquelle il ne fait rien. Il sent que je
suis déterminée, alors il veut désamorcer ma colère.
— OK, OK… Garde-moi et je te sors à la sentence,
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