A l'ombre de ma vie
criminelles, pendant leurs
investigations. Garcia Luna lui-même est régulièrement accroché dans les
journaux. On lui reproche d’être lié à certains chefs de gangs, dans le nord du
pays. Je ne sais pas ce qu’il faut penser de tout cela, je ne m’y suis jamais
vraiment intéressée, mais je sais lire les journaux, tout de même. Quelques
jours avant notre arrestation, une vidéo avait fait scandale ici. On y voyait
des policiers de l’AFI dans leurs combinaisons noires et cagoulés. Devant eux,
il y avait cinq hommes aux mains liées, à genoux, qu’ils interrogeaient et qui
avaient manifestement été battus, peut-être torturés. On comprenait que
c’étaient des membres d’un cartel, certainement des narcotrafiquants, et la
vidéo se terminait sur l’image terrifiante d’un policier approchant une arme de
la tempe d’un des hommes pour l’abattre froidement, apparemment sans émotion.
Dans la presse et dans l’opinion, cela a été un choc terrible, et les images en
direct de ce qui était présenté comme notre arrestation, quelques jours plus
tard, sont tombées à pic. Elles montraient que la police de Garcia Luna
travaillait, qu’elle avait des résultats et l’opinion a pu retrouver confiance
en elle. Et quelques mois plus tard, quand Felipe Calderón a été élu président
des États-Unis du Mexique, Garcia Luna est devenu ministre. Cela paraissait
presque naturel.
Alors, quand le premier de ces types arrive à la barre, il
règne une forme de méfiance, qui se mélange au respect qu’on porte d’emblée à
ceux qui vivent dangereusement. Leur réputation et la violence dans laquelle
ils évoluent au quotidien font qu’on ne leur parle pas comme à tout le monde.
On ne les presse pas de questions comme d’autres, on n’insiste pas autant. Ils
sont donc tranquilles pour dire ce qu’ils veulent, en fin de compte. C’est
bizarre, mais aucun d’eux ne se souvient de quoi que ce soit. Ils ne se
souviennent pas de la date de notre arrestation, ni comment elle s’est passée
en détail. Ils ne se souviennent pas de nous non plus. À mes côtés, je sens
Israël fulminer, je le vois s’avancer contre la grille pour bien montrer aux
policiers qu’il est là, qu’il les regarde, une sorte de défi qu’il leur lance
des yeux, à défaut de pouvoir les interpeller puisqu’il n’en a pas le droit.
Les témoignages se succèdent et se ressemblent rigoureusement, Israël est de
plus en plus excédé et provocateur. L’incident devient inévitable. C’est quand
il reconnaît à la barre celui qui l’a frappé, qui l’a torturé pendant toute la
nuit du 8 au 9 décembre, qu’Israël sort de ses gonds. Il n’en a pas le droit,
mais c’est plus fort que lui ; alors l’autre répond, l’insulte et c’est
une véritable scène de haine qui se déroule sous nos yeux, sans que personne
n’y puisse rien. C’est d’une violence inouïe, c’est moche et j’ai terriblement
peur des représailles. Je ne sais pas ce qui peut se passer après ça, mais
c’est plus fort que moi : j’ai peur qu’on me fasse payer aussi.
Je comprends pourquoi Israël est dans cet état : je
l’ai vu, au ranch, le matin du 9. Il tenait à peine debout, il vomissait et
délirait par moments, tellement ils l’avaient tabassé. Ce n’est pas une
invention : un médecin légiste rendra un rapport, un peu plus tard, en
certifiant que certaines de ses blessures, datées pour lui de ce jour-là, sont
compatibles avec l’utilisation de matériel électrique. C’est donc établi :
Israël a été torturé. C’est donc encore plus insupportable, pour lui, de les
voir défiler ici, d’entendre leurs mensonges arrogants contre lesquels le
tribunal ne fait rien. Il est évident qu’ils ont été briefés, qu’ils doivent
tous dire la même chose, c’est-à-dire le moins possible, mais personne au
tribunal ne leur fait remarquer. C’est sans doute la peur, je ne vois pas
d’autre explication.
Pour moi, ce n’est pas tout à fait la même chose que pour
Israël. Horacio Garcia me dit que si aucun de ces policiers ne se souvient de
moi, c’est très bon. Je les regarde défiler, alors je crois bien qu’il y a des
SOS dans mes yeux, mais je ne sais pas s’ils le voient, et encore moins s’ils
en tiendraient compte. Simplement, comme chaque fois, j’espère qu’il y aura un
peu de compassion. Je suis naïve. Pourtant, l’un après l’autre, ils assurent
tous au tribunal qu’ils ne se
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