A l'ombre de ma vie
sans
attendre l’amparo final. J’ai mon idée…
Cette réponse redouble ma fureur. C’est parce que je le
menace qu’il se met à avoir des idées, à avoir l’ambition de me sortir de
là ! Avec tout l’argent que mes parents lui ont donné ! Je lui
balance tout, je suis déchaînée. Je lui dis que mes parents se sont sacrifiés
pour pouvoir le payer. Ma mère venait de prendre sa retraite, mon père prenait
du recul par rapport à son entreprise de textile, ils avaient bien mérité de
profiter de la vie, après avoir tant travaillé. Au lieu de cela, toutes leurs
économies sont passées dans les honoraires de M e Ochoa, et mon père
a même été obligé de vendre son entreprise. Ils n’ont plus rien, je le crie à
la face de cet avocat, et aussi que je ne veux plus de lui. Comme il insiste,
cela dure un bon moment, mais c’est la première fois que je vais au bout de ma
colère, sans avoir peur de l’affrontement. Tant pis pour lui, c’est tombé sur
Jorge Ochoa.
Ces derniers mois m’ont certainement endurcie. En tout cas,
en plein procès, me voilà avec un nouvel avocat qui me promet d’étudier mon
dossier à fond. J’ai envie de le croire et son aspect sérieux m’y engage. Dans
son costume étroit, il ressemble plus à un fonctionnaire des finances qu’à un
tribun des prétoires, mais il nous fait bonne impression. La manière humble et
décidée dont il s’empare de mon dossier nous donne confiance.
VII
L’hiver est dur. Ce procès est long et je ne sais vraiment
pas ce que je dois en conclure. C’est un choc de passer la fin du mois de
décembre sans rien faire, juste à penser dans ma cellule que je viens de perdre
un an de ma vie ici. Je me moque des fêtes de fin d’année. Tout ce qui
m’importe, c’est de savoir quand je sortirai d’ici, quand je pourrai rentrer
chez moi, et qui pourra bien prouver mon innocence. Le 8 décembre, un an tout
juste après mon arrestation, je suis au fond du désespoir. J’ai l’impression
que personne ne comprend l’ignominie de l’accusation qui pèse sur moi, que je
suis juste un dossier, et que tout le monde trouve normal ce procès qui traîne
et ces témoignages qui ne veulent plus rien dire. Je crois que j’entre pour la
première fois dans une phase de dépression profonde. C’est encore autre chose
que la peur qui me tenaillait à Santa Martha : un abattement total, le
sentiment que je ne peux rien faire contre cette machine qui me broie. La peur
ne m’a pas quittée, d’ailleurs. Le pire, c’est lors des fouilles de cellules,
quand les gardiens arrivent sans prévenir et qu’il faut tout ouvrir, tout
sortir. Je n’ai rien à cacher, pourtant, mais ces moments où la menace plane
sur les détenues me terrorisent. Je pleure même quand ce n’est pas moi qu’on
fouille. J’ai vu des filles emmenées sans ménagement, hurlant, pleurant, parce
qu’elles allaient au trou, à cause d’un téléphone mobile trouvé dans leurs
affaires, ou pour avoir caché de la drogue. La terreur qu’on entend dans leurs
cris est contagieuse, et elle atteint même mon nouveau compagnon, un chat. Je
l’ai trouvé un jour dans la cour, il s’est approché, s’est attaché, et je l’ai
gardé puisque cela semblait ne déranger personne. Il a pris ses habitudes dans
ma cellule, c’est une présence à la fois sans importance et tellement
indispensable. Il est si imprégné de ma vie en cellule que les jours de
fouille, il a aussi peur que moi. Dès que les gardiens approchent, je le vois
se hérisser, petite boule de poils affolée, puis il disparaît sous mes
affaires, on n’arrive pas à le retrouver. Il réapparaît un bon moment après,
quand il a surmonté sa peur. À peu près en même temps que moi.
La direction sait être très ferme. On ne rigole pas avec la discipline.
Avec l’habillement, par exemple. Ici, pour les détenues, le bleu est de
rigueur, et rien d’autre. Un jean, un pantalon bleu, et pour le haut, du bleu
marine, et on ne discute pas – j’ai dû renvoyer des vêtements, au début. Du
coup, pour les personnes qui viennent en visite, le bleu est interdit. Comme le
noir, qui est réservé aux gardiens, et le blanc, aux médecins. Mes parents
continuent de m’envoyer un peu d’argent régulièrement, et je peux m’acheter
quelques vêtements, comme des pulls pour passer l’hiver, parce qu’il fait très
froid ici, en cette saison. À la prison de Tepepan comme partout à Mexico, il
n’y a pas le
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