A l'ombre de ma vie
avocats me conseillent de ne pas aller
trop vite. Je pense à tout cela à longueur de journée, et la nuit je dors mal.
J’essaie tant bien que mal de résister, de me remémorer tous les mots du
président, mais je sens une immense tristesse m’envahir et le découragement
reprend le dessus. De toutes mes forces, je tente de me battre contre la
dépression qui guette, mais elle est trop forte ; je pleure à nouveau sans
cesse et je suis submergée par la peur de ce qui peut m’arriver. D’un bout à
l’autre du pays, les journaux racontent des histoires de détenus retrouvés
morts dans leur cellule. Pas seulement les journaux : en prison, ces
histoires courent aussi les couloirs, et je ne peux m’empêcher de me dire
qu’avec la réputation qui est la mienne ici, il n’y aurait pas grand monde pour
s’émouvoir s’il m’arrivait un accident. Frank Berton est de mon avis, et dans
la presse française, son leitmotiv, ces jours-ci, c’est : « Ma
principale préoccupation, en ce moment, c’est la sécurité de Florence. »
Après la visite présidentielle, j’ai maintenant l’impression
d’être seule ici, loin de tous les miens qui me soutiennent de l’autre côté de
l’Océan. Isolée dans un pays où tout le monde m’est hostile, où il peut
m’arriver le pire chaque jour. Je craque à nouveau. J’essaie pourtant de
repenser à cette lettre dont m’ont parlé Frank Berton et mes parents. Une
lettre secrète, me disent-ils, mais tout de même le président Calderón y
proposait bien de lui-même l’application de la Convention de Strasbourg, alors
que personne ne lui avait encore rien demandé. Aujourd’hui, il semble y être si
farouchement opposé…
Je n’y comprends rien, mais on me suggère que l’explication
est probablement très simple. Sans doute le président mexicain était-il
sincère, au mois de février, quand il a écrit à Nicolas Sarkozy. Il n’avait
aucune raison de lui être désagréable et tenait à nouer avec la France des
relations cordiales, afin de sortir un peu de l’hégémonie américaine sur le
plan économique. Le Mexique cherche à faire du commerce avec d’autres pays
puissants, et non plus comme aujourd’hui de manière quasi exclusive avec les
États-Unis. Mais s’il a changé d’avis en quelques semaines, c’est que quelqu’un
l’a incité à cela. Et de nouveau, on m’indique Genaro Garcia Luna, qui semble
décidément avoir une immense emprise sur beaucoup de monde, son président y
compris. C’est trop lourd pour moi. Je regarde les murs de ma cellule des
heures entières, je reste au lit sans pouvoir rien faire d’autre que pleurer et
me dire que je vais passer ma vie ici…
Chaque jour, les journaux ou la télévision ont quelque chose
à dire à mon sujet. Rien de forcément très nouveau, mais il est beaucoup
question de la commission binationale qui doit en principe réfléchir à
l’application de la Convention de Strasbourg. Je n’y crois pas une seconde,
après tout ce qu’on m’a dit, mais les journalistes s’y intéressent de près,
apparemment. Les deux présidents ont annoncé la remise de propositions dans les
trois semaines, alors la presse décompte. Si c’est pour attendre que la tension
retombe que l’on parle moins de moi, c’est complètement raté. Les travaux de
cette commission sont très secrets. Côté français, je sais que Jean-Claude
Marin, le procureur de la République de Paris, qui était déjà venu avant le
voyage de Nicolas Sarkozy, est associé à Daniel Parfait, le nouvel ambassadeur
de France à Mexico. Mais rien ne filtre de leurs travaux. Rien d’encourageant,
en tout cas, car les journaux mexicains laissent tous entendre que la décision
ne fait aucun doute. Au bout d’un mois, on n’a toujours rien. Alors La
Jordana croit pouvoir annoncer la première que la réponse de son pays sera
un refus clair et net de mon transfert en France et l’approuve par avance.
D’autres le feront, ensuite, sans qu’on sache d’où ils tiennent leurs
informations. Les nouvelles ne sont pas bonnes, décidément.
En France, Frank Berton s’énerve de tout cela. À la
mi-avril, il annonce qu’il compte déposer une plainte contre Genaro Garcia Luna
devant la justice française, pour falsification de preuves et mensonge, au
sujet du montage de mon arrestation. Une déclaration de guerre. Cela pourrait
entraîner une enquête. Pas sur le sol mexicain, mais cela empêcherait sans
doute le ministre de
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