A l'ombre de ma vie
œil, dent pour dent, la pression se
fait plus forte ici. D’autant que certains journalistes, progressivement,
émettent des doutes sur l’honnêteté de l’enquête qui m’a accablée. Certainement
pas une majorité, mais des professionnels reconnus, parfois des éditorialistes
hautement respectés, et le gouvernement comprend le danger. Il ne faut à aucun
prix que l’opinion publique se retourne. À aucun prix, on ne doit laisser
sortir dans la presse les éléments du dossier qui contredisent la version
officielle. Je dois rester Florence la diabolique, Florence la Française, la
ravisseuse d’enfants. La visite de Nicolas Sarkozy est encore dans tous les
esprits. La question de Thierry Lazaro à l’Assemblée nationale est relayée
jusqu’ici. L’espoir exprimé en France que la commission puisse accorder mon
transfert agace profondément le Mexique. Alors, un matin, un nouveau coup de
massue s’abat sur moi. À la télévision, apparaît un homme sans âge, pas très
vieux mais blafard, tremblant tellement qu’on ne sait le décrire précisément,
et ce n’est pas la lumière crue sous laquelle il est filmé qui arrange les
choses. C’est une apparition étrange que cet homme dont on ne sait rien de
précis. D’où sort-il ? Qui est-il ? D’une voix incertaine, il répond
aux questions d’un autre homme qu’on ne voit pas, et semble par moments lire
ses réponses. On dirait une scène de mauvais théâtre.
Il dit s’appeler David Orozco Hernandez, trente-sept ans,
marié. Commerçant et… ravisseur. Dans la séquence qui sera montrée des dizaines
de fois à tous les Mexicains, il dit fébrilement qu’il a fait partie du même
gang qu’Israël, avec ses frères et ses neveux. Il dit encore qu’il aurait
participé à quatre enlèvements, donne des sommes, apparemment au hasard, qu’il
aurait touchées pour cela et en vient à moi :
— La Française était la fiancée d’Israël Vallarta. Avec
lui, elle planifiait les enlèvements, et même si le plus souvent elle
surveillait les personnes détenues, il lui arrivait de participer à leur
capture. Dans la bande, les choses se sont gâtées entre nous parce que,
progressivement, c’est elle qui a pris le dessus, qui est devenue le chef.
Je suis stupéfaite. Ce témoin tombé du ciel dit être le
« Geminis » de la bande des Zodiacos, celui qui s’appelait Ricardo
dans le rapport de police et Gilberto dans les aveux reçus d’Israël, alors
qu’il était torturé, comme le dit l’expertise médicale de décembre 2005. Voilà
qu’il s’appelle David, maintenant ! Ce n’est pas la crédibilité de son
apparition qui m’inquiète, elle ne tient pas la route une seconde. Un véritable
malaise s’installe dans la presse et chez ceux qui ont vu cette pantalonnade à
la télévision. Comme le dit Agustin Acosta, mon avocat mexicain, « c’est
une gifle à l’intelligence, en même temps qu’une gifle à l’État français ».
Qu’on présente un montage aussi grossier – cet homme lit un
texte, se fait dicter ses réponses, c’est évident – pour contrecarrer l’action
de la France constitue une nouvelle provocation. Comme si le message envoyé
devait faire comprendre qu’on peut se permettre cela, ici, et que la France n’y
peut rien – et moi encore moins.
Ce type a été arrêté en même temps qu’un frère et deux
neveux d’Israël. Je les connais, moi : ce sont de braves types, des
mécaniciens qui vivent chichement, entre eux, en famille, et qui travaillent
dur. Si ces gars-là commettent des enlèvements, s’ils gagnent de l’argent de
cette manière, je ne sais pas ce qu’ils en font. Ils sont bien bêtes, alors, de
vivre dans leurs pauvres appartements, dans leurs petites maisons sans grand confort,
à travailler comme je les ai vu faire. De les savoir en prison, eux aussi, cela
me fait quelque chose.
En revanche, je ne pense plus jamais à Israël. Je ne pense
qu’à moi. J’ai réussi à chasser la haine que j’éprouvais, c’est déjà ça. Elle
me rongeait de l’intérieur, je devais m’en débarrasser. On me dit parfois qu’il
n’est peut-être pas coupable, lui non plus, après tout. Alors, ça, ce serait le
mieux. C’est tout ce que je souhaite. Au moins, je n’aurais pas à me demander
toute ma vie pourquoi je n’ai rien vu. Je n’aurais pas à être pour toujours la
cruche qui ne s’est pas rendu compte que son mec était un ravisseur d’enfants.
S’il est innocent,
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