A l'ombre de ma vie
cela m’évitera d’aller voir un psychiatre. C’est le plus
beau cadeau que pourrait me faire la vie.
En attendant, voilà que je fais à nouveau la une des
journaux. Garcia Luna avait vraiment besoin de renforcer coûte que coûte son
dossier d’accusation, c’est évident. Agustin est révolté. Il est de mon
avis :
— L’opinion publique commençait à évoluer, ici. Pour le
gouvernement, c’est une manière de frapper un grand coup et de préparer
l’annonce du refus du transfert.
Ils sont implacables. De plus en plus fort, de plus en plus
aveuglément, ils cognent pour m’enfoncer et je crois qu’ils sont peu à peu en
train d’y arriver. Cette idée qui m’était déjà venue, sournoisement, et que
j’avais toujours réussi à chasser me revient cette fois plus cruellement :
j’ai envie d’en finir. N’importe comment, même rapidement, sans réfléchir, je
veux que tout cela s’arrête. Je n’ai plus le courage, plus la force. J’en ai
assez d’être humiliée, bafouée, de n’être plus rien du tout, de n’être même
plus respectée par ces gens qui ne me connaissent pas, qui se sont simplement
fait une idée avec ce qu’ils ont distraitement entendu et me tiennent
aujourd’hui, définitivement, obstinément, pour une criminelle. C’est
insupportable de vivre avec cela en tête. Et je pense que cela ne finira
peut-être jamais. Pour la première fois, je me laisse envahir par cette horreur
que j’avais toujours repoussée : ma vie entière en prison. Le reste de mon
existence dans la peau d’un monstre, enfermée, réduite à rien d’autre qu’un
corps qui bouge et qu’on n’écoute pas. Je n’en peux plus…
Au téléphone, mes parents, mon avocat, Jean-Luc Romero
déploient des trésors de gentillesse. Je n’ai plus tellement le goût d’appeler,
mais dans mes rares conversations avec eux, je sens bien qu’ils sont inquiets,
et je n’ai pas la force de tenter de les rassurer. Je tiens debout, c’est déjà
ça, et je me dis parfois que je vis les pires moments de ma vie et que cela ne
pourra qu’aller mieux un jour. C’est une défense dérisoire, mais je n’ai trouvé
que celle-là. Je ne sors plus beaucoup de ma cellule, je reste les yeux fixés
au plafond à attendre – mais quoi ? – avec la télé en bruit de fond, pour
ne pas entendre les cris de la prison, pour ne pas devenir folle, peut-être.
Des jours, des semaines entières passent ainsi, et je ne prête même pas
attention aux nouvelles qui passent parfois. Après d’autres journaux, c’est El
Excelsior qui annonce le refus de mon transfert. Ils l’auront bientôt tous
fait, mais je m’en moque et les autorités aussi, sans doute, puisqu’il n’y a
toujours pas de position officielle.
Dans un journal télévisé de la fin de journée, que j’entends
distraitement, on annonce une conférence de presse de Felipe Calderón, une
sorte de déclaration officielle imprévue à quelques journalistes réunis autour
de lui. Je me dis qu’il va peut-être parler de moi, puisque cela semble être à
la mode. J’écoute avec un peu plus d’attention.
— Mesdames et messieurs les représentants des médias de
communication, je vous remercie beaucoup d’être présents ici ce soir, car j’ai
une annonce importante à faire aux Mexicains. Le gouvernement de la République
est parvenu à la conclusion que les conditions lui permettant de donner son
consentement au transfèrement de la ressortissante Florence Cassez vers la
France, son pays d’origine, auquel fait référence la Convention de Strasbourg,
ne sont pas réunies. Par conséquent, Florence Cassez exécutera sa condamnation
à soixante années d’emprisonnement au Mexique, pour les crimes commis au
préjudice de plusieurs personnes dans notre pays.
En fait, il ne parle que de moi. Depuis son palais
présidentiel, dans une mise en scène très officielle, en direct sur l’antenne
de Televisa et des plus grandes chaînes, à une heure de grande écoute. Il ne
parle que de moi. J’en ai la tête qui tourne. Ce n’est pas l’annonce de son
refus, je m’y étais tout doucement préparée, même inconsciemment, mais la
solennité qu’il y met. « J’ai une annonce très importante à faire aux
Mexicains. » Je suis écrasée.
Je l’entends encore dire que j’ai été « interpellée et
jugée conformément au droit », et s’en prendre ouvertement, le regard
froid et la voix dure, à mon pays :
— Le gouvernement
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