A l'ombre de ma vie
voyager. En France, bien sûr, mais aussi en Europe – et
notamment en Espagne, où il se rend régulièrement, dit-on –, et peut-être même
dans tous les pays avec lesquels la France a un accord de coopération
judiciaire qui permettrait de l’interpeller, voire de l’extrader vers la
France. Je trouve que c’est un sacré coup. Mais M e Berton me dit
qu’il faut auparavant réunir les preuves établissant que mon arrestation a bien
eu lieu le 8 décembre, et non le 9. Avec cela, il peut en outre demander à
l’État français d’engager un recours devant la Cour de justice internationale
de La Haye, au motif que la Constitution mexicaine a été violée, dans son
article 16 qui précise que toute personne interpellée doit être immédiatement
présentée à un magistrat. En effet, si on prouve que j’ai été arrêtée le 8
décembre, c’est bon pour moi, puisque les documents de ma présentation à la Siedo sont datés du 9, en milieu de matinée.
Tout cela me fait chaud au cœur, bien sûr, et je lis
attentivement les coupures de presse que l’on m’envoie de France, avec la
détermination et l’œil mauvais de mon avocat en photo, mais je ne peux
m’empêcher de me dire que tout cela prendra encore des mois. Je suis lasse,
tellement lasse…
Au moins, la France ne me laisse pas tomber. Au début du
mois de mai, Thierry Lazaro revient à la charge à l’Assemblée nationale, avec
une question au gouvernement pour savoir ce qu’il advient de cette commission
qui tombe tout doucement dans les oubliettes mexicaines. Cette fois-là,
pourtant, quand Thierry se lève, quelques députés s’agacent qu’on revienne
encore sur le sujet et il faut toute son autorité – il rappelle d’une phrase
sèche : « Il s’agit d’une innocente, chers collègues ! » –
pour que le silence se fasse à nouveau. C’est Bernard Kouchner, ministre des
Affaires étrangères, qui répond, très diplomate lui aussi. Il reconnaît que le
délai est largement dépassé, mais se veut optimiste :
— Il s’agit d’aplanir les difficultés entre le droit
français et le droit mexicain. Les peines ne sont pas les mêmes et il faut
parvenir à un accord. Convertir celle qui a été prononcée là-bas de manière
acceptable pour le Mexique.
C’est donc ça, le problème. Les Mexicains ont appris que la
plus haute peine prononcée en France est de vingt ans pour ce type
d’accusation. Ils ne l’acceptent pas. C’est soixante ans ou rien ! Or, une
peine de soixante ans, ça n’existe pas, en France. On ne parle même plus de grâce
présidentielle, évidemment. Au contraire, il semble que les représentants
mexicains de la commission binationale ont laissé entendre qu’il leur faudrait
également un écrit de Nicolas Sarkozy dans lequel il s’engagerait à ne pas me
gracier.
Rien. Ils ne lâchent rien. Ils m’ont dans le creux de leur
main et cherchent à me broyer petit à petit. Je suis anéantie. Voilà le peu que
je suis devenue : je suis innocente et deux présidents en sont à se
disputer pour savoir si je dois rester soixante ans ou vingt en prison !
Mon avocat me dit qu’il ne se passera rien avant les élections législatives du
4 juillet prochain, mais il semble espérer qu’à ce moment-là, peut-être, il
pourrait y avoir une ouverture. Mais c’est dans deux mois ! Il ne se rend
pas compte. C’est une éternité pour moi, deux mois. J’avais cru que c’était
enfin arrivé, moi, on me l’avait laissé espérer, alors je m’étais laissé
envahir par l’espoir, c’est tellement bon quand on va mal. Et voilà que je
retombe une nouvelle fois.
XI
De nouveau, je reste des heures entières au fond de mon lit,
apeurée, incapable de trouver l’énergie de faire quelque chose. Comme si
j’étais à l’abri sous la couette, dérisoire protection contre le monde qui
m’entoure et qui m’en veut.
Je sens bien que quelque chose va se passer. La tension est
si forte, et les mots si durs. Chaque fois que la situation s’est aggravée de
cette manière, j’ai pris un coup sur la tête. Chaque fois qu’une partie de la
presse et de l’opinion semblait me soutenir, ou au moins exprimer ouvertement
quelques doutes, les accusations se sont durcies, même au prix d’interventions
invraisemblables – cela ne dérange pas le pouvoir mexicain. C’est une forme
d’escalade. En France, le soutien est plus important, plus ouvert, depuis ma
condamnation en appel. Du coup, œil pour
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