A l'ombre de ma vie
croire que ce n’est pas grave, juste un contretemps, une
impossibilité ; mais la vérité, ce jour-là, est que l’entrevue ne s’est
pas passée comme le souhaitait le couple Sarkozy. Felipe Calderón a été glacial
dès que la conversation a glissé sur mon cas, ou plutôt dès que Nicolas Sarkozy
a essayé de faire glisser la conversation dessus. Le président mexicain était
fermé, absolument pas décidé à évoquer mon dossier, et Nicolas Sarkozy a bien
dû admettre que ce serait plus difficile que prévu. En rentrant, il a donc
décidé de ne m’envoyer personne à la prison pour me demander de
l’appeler ; après tout, il lui restait la journée du lundi pour tenter de
faire avancer les choses.
C’est une longue journée. Très longue. Un lundi de printemps
à Mexico, chaud, avec un soleil de plomb. Après des rendez-vous avec le milieu
économique, les discussions et les signatures ou engagements des hommes
d’affaires, les deux présidents doivent donner une conférence de presse, dans
la cour du palais, devant des dizaines de journalistes. Je suis là, toute
seule, dans ma prison de la banlieue populaire et colorée, entre les murs un
peu froids et sales… et toute cette agitation, avec les cortèges de limousines,
les rues barrées et les sirènes des motards qui hurlent, c’est en partie à
cause de moi. Le matin, les journaux ont redoublé d’articles sur mon histoire,
d’accusations reprises de l’époque où j’ai été condamnée, et les représentants
des associations de victimes crient à l’ingérence de la France dans les
affaires internes du Mexique. Ils ont du poids, ces gens, auprès de la
population mexicaine, parce que tous les leaders de ces associations ont vécu
l’enfer du kidnapping. Soit eux-mêmes, directement, soit quelqu’un de leurs
proches, un fils, un frère, qui s’en est sorti ou qui est mort, et c’est avec
des accents de désespoir qu’ils parlent à la presse. À mon corps défendant, parce
que je les comprends, moi, ces gens qui ont souffert, je suis devenue un peu le
symbole de leur douleur, aujourd’hui que le gouvernement mexicain a tout fait
pour que je sois présentée comme un monstre. Isabel Miranda de Wallace, une de
ces femmes réputées, très écoutées au Mexique, s’est lancée dans une véritable
croisade contre moi, en ces jours de visite présidentielle où les Mexicains ont
bien compris que Nicolas Sarkozy était venu pour m’arracher à leurs prisons.
Ils ont bien compris aussi qu’il aurait, quand je serai rentrée en France, la
possibilité de réduire ma peine, et même de l’annuler. Et c’est exactement ce
qu’ils ne veulent à aucun prix. Voilà ce qui s’étale dans les journaux, à grand
renfort de photos, de visages éplorés, de tous ces gens qui crient à
l’injustice, au scandale, parce que pour eux ma culpabilité ne fait aucun
doute. Ils ne se posent même pas la question de l’existence de cette bande des
Zodiacos dont aucun autre membre n’a été arrêté. Genaro Garcia Luna a
habilement et discrètement rappelé son message de fermeté, réaffirmé sa poigne
autour de moi, son seul trophée, et Ezequiel est revenu comme par enchantement
donner des conférences de presse aux côtés de Mme de Wallace : voilà tout
ce qui compte. Le peuple y croit, je suis Florence la diabolique, Florence la
Française, la kidnappeuse d’enfants.
Nicolas Sarkozy a du pain sur la planche. Je ne sais pas
comment il va s’y prendre, je sais juste qu’il va le faire. J’ai encore ses
mots en tête, et cette détermination qu’il a réussi à me transmettre. Je crois
en lui, voilà tout. C’est vrai : ce voyage présidentiel est complètement
imprégné de l’histoire de Florence Cassez. Les médias mexicains, les médias
français, qui ont envoyé de nombreux journalistes, et même les officiels… tout le
monde parle de moi, tout le monde se demande lequel des deux présidents va
faire plier l’autre. Il est évident pour tous qu’ils ne sont pas tombés
d’accord et qu’un bras de fer s’engage. Les paroles de Frank Berton, après sa
première visite à l’Élysée avec mes parents, me reviennent en mémoire :
« Ce qui pourrait passer au-dessus de votre cas personnel, c’est l’intérêt
du pays. »
Dans l’après-midi, je vois les images de la conférence de
presse dans les journaux télévisés. Les deux présidents côte à côte, chacun à
son pupitre, chacun à sa manière, parlant de moi
Weitere Kostenlose Bücher