À l'ombre des conspirateurs
auraient dû se trouver des yeux. Il était aussi large que haut, comme s’il avait reçu un énorme poids sur la tête qui l’aurait à moitié écrasé.
Il examina soigneusement mon canasson.
— Il est espagnol ?
— Famia ! répondis-je en riant. Même moi je sais que les chevaux espagnols sont les meilleurs.
Famia proposa une pomme à Petit Chéri qui la croqua avec délice.
— Il se comporte comment ?
— Une horreur. Il n’en a fait qu’à sa tête tout le long de la route. Et on arrive de Campanie ! L’ennuyeux, c’est que plus je le déteste, plus il me manifeste son attachement.
Petit Chéri émit un grand rot après avoir terminé sa pomme. Je l’observai attentivement. Il s’agissait d’une bestiole marron foncé, avec une crinière noire, des oreilles, et une queue. À travers son nez – qu’il fourrait toujours là où il n’était pas le bienvenu – courait une bande couleur moutarde tout à fait distinctive. D’habitude, les chevaux tiennent leur oreilles droites ; le mien agitait sans arrêt les siennes d’avant en arrière. Une personne aimable aurait pu déclarer qu’il avait l’air intelligent, mais moi je le connaissais trop bien.
— Tu es venu sur son dos depuis la Campanie ? insista Famia. Ça devrait lui avoir durci les tibias.
— Pour quoi faire ?
— Courir, par exemple. Qu’as-tu l’intention d’en faire ?
— Le vendre, mais pas avant jeudi. Il y a une course à laquelle va participer Ferox, un superbe pur-sang. Celui-là doit valoir un paquet ! Ce crétin, là, était son compagnon d’écurie. J’ai promis à l’entraîneur de le lui prêter, car il calme Ferox.
— Je vois, dit Famia. Le tien est inscrit aussi ?
— Tu plaisantes ! Il va calmer Ferox jusqu’à la ligne de départ, et faire demi-tour.
— Tu devrais l’inscrire quand même, insista Famia.
Je décidai tout d’un coup qu’il avait raison, car Atius Pertinax ne pourrait sûrement pas s’empêcher de venir voir courir Ferox. En tant que propriétaire, inscrire Petit Chéri me permettrait de fouiner partout.
Passant derrière le Capitole, j’adressai mentalement une prière à Junon pour qu’elle daigne se pencher sur ma situation financière. Parvenu sur l’Aventin, du côté de la ligne de départ du cirque Maximus, je m’arrêtai un instant pour me reposer. Je songeai d’abord à ma rosse pathétique, puis à Pertinax. Mes sacs m’ayant pratiquement disloqué les épaules, l’idée me vint de faire halte chez ma sœur Galla, où j’espérais pouvoir discuter avec Larius.
— Tu avais promis de bien t’occuper de lui ! hurla-t-elle en guise d’accueil. (Essayant de me défaire de ses plus jeunes enfants – quatre petits charognards qui n’allaient pas lâcher aussi facilement un oncle susceptible d’avoir des cadeaux dans sa besace –, j’embrassai Galla.) Si c’est pour te faire offrir un repas, il y a que des tripes !
— Oh ! merci ! J’adore les tripes ! (C’était faux, comme toute ma famille le savait, mais je mourais de faim.) Quel est le problème avec Larius ? Je te l’ai renvoyé en pleine forme physique et morale, et en compagnie d’une petite amie bien potelée qui sait ce qu’elle veut. Sans compter qu’il s’est fait une sacrée réputation en empêchant les gens de se noyer !
— Un peintre de fresques ! cracha Galla d’un air dégoûté.
— Pourquoi pas ? Il est doué, et ça rapporte de l’argent. Sans compter que dans ce domaine, le travail ne manque pas.
— Je pouvais compter sur toi pour l’encourager dans une voie stupide ! Son père, ajouta Galla avec grandiloquence, est extrêmement contrarié !
Une nouvelle occasion d’exposer à ma chère sœur mon opinion sur le père de ses enfants. Comme d’habitude, elle enchaîna en disant que si c’était vraiment le fond de ma pensée, je n’étais pas obligé de rester assis sur sa terrasse à manger sa nourriture.
J’étais vraiment de retour à la maison ! Rien ne pouvait remplacer ça. Je me souris discrètement à moi-même, en continuant à manger et à profiter du soleil.
Larius arriva au moment où j’allais m’en aller, et il m’aida à porter mes bagages jusque chez moi.
— Alors ? Ce voyage s’est passé comment, Larius ?
— Il s’est passé.
— Difficile pour Petronius ?
— Quand as-tu entendu Petronius se plaindre ?
Décidément, mon neveu se montrait peu bavard.
— Et pour toi ?
Weitere Kostenlose Bücher