À l'ombre des conspirateurs
l’encre à peine sèche. Il s’agissait du document établi par le scribe que j’avais vu en compagnie de Pertinax. Après y avoir jeté un coup d’œil, je reposai la feuille d’un air accablé. Parce que j’étais un professionnel, je continuai mes recherches. Toutes les cachettes habituelles étaient vides. Rien sous le matelas, ni sous les lattes disjointes du plancher. Rien d’enterré dans la terre desséchée d’une plante en pot.
Au fond du coffre vide, je trouvai quelque chose que Pertinax y avait oublié : une grosse clef de fer.
— C’est quoi ? murmura Tullia.
— Je n’en suis pas sûr, mais je vais vérifier, répondis-je en me redressant. Je la prends. Maintenant, on a intérêt à partir.
Tullia me barra le passage.
— Pas avant que tu me dises ce qu’il y a écrit sur ce papyrus.
Tullia ne savait pas lire, mais elle avait compris en me voyant faire la grimace qu’il s’agissait de quelque chose d’important.
— Les deux copies du contrat ne sont pas encore signées.
Quand je lui précisai de quel genre de document il s’agissait, elle commença par devenir toute pâle, avant de rougir de colère.
— Pour qui ? Pour Barnabas ?
— Le nom inscrit est différent, mais c’est tout de même pour Barnabas. Désolé, la belle.
Le menton de la serveuse se releva d’un mouvement coléreux.
— Et qui est la femme ? C’est celle de Campanie ?
— Oui, Tullia. J’en ai bien peur.
Posé sur la table, il y avait un certificat de mariage préparé au nom de Gnæus Atius Pertinax et… d’Helena Justina fille de Camillus Verus.
Comme elle l’avait dit, une fille a besoin d’un mari.
82
— Elle est jolie ? demanda Tullia quand nous nous retrouvâmes dans la ruelle sombre.
— L’argent est toujours joli. (Jetant un regard autour de moi pour vérifier que personne ne s’intéressait à nous, j’ajoutai :) Et lui, qu’est-ce qu’il a pour attirer les filles ? Il est bon au lit ?
Tullia répondit par un rire méprisant. Je m’emplis joyeusement les poumons d’un air fétide.
De retour dans la pénombre de l’auberge, je l’attrapai par les épaules.
— Si tu as l’intention de lui parler de ça, prends bien garde d’avoir ta mère avec toi. (Tullia paraissait perdue dans la contemplation de ses pieds. Elle avait probablement déjà eu l’occasion de constater qu’il pouvait se montrer violent.) Il te répondra sûrement qu’il y a une raison importante à ce document…
Elle releva brusquement les yeux.
— Obtenir l’argent dont il parle tout le temps ?
— Princesse, tout ce que Barnabas peut espérer obtenir, c’est une tombe d’affranchi. Il va te raconter qu’il a déjà été marié à cette femme, et qu’il a besoin d’elle pour bénéficier d’un héritage important. Ne te fais surtout pas d’illusions ! Si jamais il parvenait à mettre la main sur cet héritage, dis-toi bien que c’est pas avec toi qu’il le partagerait. (Les yeux de la serveuse s’allumèrent d’une lueur de colère.) Tullia, il est suivi par des agents du palais. Il ne lui reste pas beaucoup de temps.
— Pourquoi, Falco ?
— Selon les lois pour l’Encouragement au Mariage, une femme célibataire plus de dix-huit mois après un divorce ne peut plus recevoir d’héritages ! S’il veut se servir de son ex-femme, il n’a vraiment pas de temps à perdre.
— Ils sont divorcés depuis quand ? demanda-t-elle.
— Aucune idée. C’est à lui que tu dois poser cette question.
Ayant tendu mon piège, je fis mes adieux à Tullia et me frayai un passage à travers la cohue des clients musclés pour gagner la porte. À l’extérieur, deux clients avaient fait main basse sur mon flacon laissé sans surveillance. Je m’apprêtais à exprimer mon indignation avec virulence, quand je les reconnus. Les deux chiens de garde d’Anacrites s’aperçurent également de ma présence.
Je me repliai vite fait à l’intérieur, fis un signe désespéré à Tullia, bousculai tout le monde et ouvris la porte par laquelle elle m’avait fait partir lors de ma première visite.
Les espions regardèrent d’un air féroce autour d’eux et repérèrent la porte ouverte. Les clients s’écartèrent complaisamment pour les laisser passer avant de reconstituer un bloc infranchissable.
Je surgis de derrière le comptoir, remerciai Tullia de la main et ressortis par la porte principale : le plus vieux truc du monde.
Quand je traversai le fleuve
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