À l'ombre des conspirateurs
ton sec.
— Les… chevaux, bredouilla Milo.
— Des chevaux ? m’écriai-je, soudain très attentif.
Je lui décrivis les chevaux remarqués dans plusieurs auberges au cours de mon voyage. À contrecœur, Milo dut convenir qu’il s’agissait bien de ceux-là.
— Tu connais ce gredin ? s’indigna Gordianus, comme s’il s’agissait de mon acolyte.
— Il m’a suivi jusqu’ici. Au moins à partir de Salerne.
Nos yeux se croisèrent. Nous pensions la même chose.
— Barnabas !
J’agrippai le sénateur par le coude et le conduisis dans la maison : à tort ou à raison, il s’y sentirait plus en sécurité.
En ce qui me concernait, nul doute que l’agresseur avait pris la fuite depuis longtemps. Je n’en envoyai pas moins un groupe de serviteurs explorer les environs sous le commandement de Milo. Un navire proche de la côte éveilla nos soupçons : peut-être des complices venus le récupérer. La tête entre les mains, Gordianus gémissait. Il se représentait son remplaçant, la tête voilée, les mains tendues vers l’autel, recevant ce coup terrible sur le crâne…
— Les membres de ma famille sont à Rome, Falco. Les crois-tu menacés ?
— Je ne suis pas un oracle, sénateur. Je ne passe pas mon temps dans une grotte à mâchouiller des feuilles de laurier. Bien malin qui pourrait deviner la prochaine action de Barnabas. (L’air hagard, il ne cessait de se mordiller la lèvre inférieure.) Il a assassiné ton frère, lui rappelai-je. Ne t’y trompe pas ! Quand il apprendra qu’il s’est trompé de cible, il fera une nouvelle tentative pour t’éliminer. (Le pontife me fixa, atterré.) Sénateur, j’en ignore la raison, mais il est clair que ton frère Longinus présentait un danger pour quelqu’un. En outre, il aurait fort bien pu t’envoyer un message entre le moment où l’affranchi s’est présenté à la maison du prêtre chez qui il dînait, et celui où il est venu se recueillir au temple d’Hercule. Barnabas doit le craindre. Alors si tu as reçu un message de Longinus, ou si tu en reçois un bientôt, ton intérêt est de m’en faire part.
— Bien sûr, dit-il, pas vraiment convaincu.
Mon anxiété me fit oublier notre différence de condition. Je l’attrapai par les épaules pour le secouer.
— Gordianus ! Tu seras en sécurité seulement si je trouve Barnabas. Peux-tu me mettre sur la voie, oui ou non ?
— Tu vas te lancer toi-même à sa poursuite, Falco ?
— Oui ! répondis-je sans hésiter.
Anacrites avait été chargé de ce douteux privilège, mais il ne m’aurait nullement déplu de le coiffer sur le poteau.
Accablé par le danger auquel il venait d’échapper, Gordianus était toujours empli de confusion. Comme il ne semblait pas avoir envie de me raconter quoi que ce soit, je poursuivis :
— Pertinax et toi étiez très proches. Tu connais son affranchi ? A-t-il toujours été aussi dangereux ?
— Oh ! je n’ai jamais eu de rapports avec son personnel… Qu’est-ce qu’il y a ? Il te fait peur ?
— Peur, pas vraiment, mais je le prends au sérieux ! (Je respirai un grand coup pour me calmer.) Peu d’affranchis poussent jusqu’au meurtre leur loyauté envers leur protecteur disparu. Pourquoi cette fidélité excessive ?
— Barnabas était convaincu du grand destin de Pertinax, et celui-ci le pensait aussi. Son père adoptif n’avait cessé de lui répéter qu’il était unique. En fait, si Pertinax n’était pas mort, c’est lui qui serait devenu dangereux.
— Ah ! jusqu’où peut vous mener l’ambition ! m’exclamai-je avec beaucoup de mépris. (Du fait qu’il avait été le mari d’Helena Justina, tout ce qui touchait à ce Pertinax me mettait hors de moi.) Il visait le pouvoir pour lui-même ?
— Pertinax n’était qu’un ennuyeux butor ! s’écria Gordianus. (Je ne pus m’empêcher d’acquiescer.) Tu le connaissais ? demanda-t-il, surpris.
— Non, mais j’ai bien connu sa femme.
Dans les chaînons de l’humanité, j’avais attribué à l’ancien mari d’Helena Justina une place bien en-deçà de celle du bousier. Dès lors, il m’était difficile de me le représenter dans la peau d’un empereur romain. Il faut pourtant avouer qu’après Néron, d’étranges postulants avaient émergé. À commencer par Vespasien. Si l’affranchi s’était persuadé que seul l’assassinat de Pertinax l’avait empêché de devenir le bras droit d’un empereur, sa
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