À l'ombre des conspirateurs
qu’il comptait sur moi pour son prochain repas. Attiré par tout ce ramdam, un rustre au menton noir de barbe, armé d’un solide gourdin, apparut au coin de la maison. Il se dirigea droit vers le chien qui faisait toujours des efforts désespérés pour me sauter à la gorge.
Décollant ma botte d’une bouse de vache, je fis demi-tour pour repartir au plus vite. L’homme quitta alors son chien pour me donner la chasse. Le bougre gagnait rapidement du terrain. Je me faisais aussi du souci pour Larius et hurlai pour le prévenir. En franchissant l’arche d’entrée, soulagé, je constatai qu’il s’était montré assez futé pour préparer Néron à un départ précipité.
À bout de souffle, je bondis à bord. Dans un meuglement exprimant bien toute son anxiété, le bœuf prit ses pattes à son cou. Larius se tenait à l’arrière de la carriole et agitait méchamment une chute de tuyau de plomb. Le fermier aurait pu se saisir sans peine de l’autre extrémité et précipiter mon neveu au sol. Heureusement, il préféra abandonner la partie.
— On peut dire qu’on a eu de la chance ! plaisantai-je quand le petit trésor de ma sœur me rejoignit sur le banc.
— L’idée m’était venue qu’elle pourrait bien avoir un mari, haleta Larius.
— Pas le temps de le savoir ! Désolé…
— Oh ! t’en fais pas. C’est à toi que je pensais.
— Charmant garçon, mon neveu, non ? m’exclamai-je en prenant à témoin la campagne environnante.
Les poulettes aux joues rouges et aux cheveux pleins de paille, nourries à l’orge, n’étaient pas mon type, mais cela me conduisit à penser aux femmes qui l’étaient. La mélancolie s’empara de moi.
— Tonton Marcus, déclara Larius en poussant un soupir, les présages n’augurent rien de bon. On devrait laisser tomber pour aujourd’hui.
Je réfléchis à sa proposition, tout en essayant de reconnaître l’endroit où nous avait entraînés la course folle de Néron.
— D’accord ! Au diable, Crispus ! Allons chercher un marchand de vin dans la montagne, et soûlons-nous convenablement !
En usant de toute ma persuasion, j’amenai le bœuf à faire demi-tour. Il ne fut pas facile de lui faire prendre la direction de la montagne dominant Pompéi. D’après ce que Petronius nous avait dit, nous allions passer devant la propriété de ce Caprenius Marcellus qui avait eu la si mauvaise idée d’adopter Atius Pertinax.
Il devait être aux alentours de midi, mais je pressentais qu’à la Villa Marcella, on ne nous inviterait pas à déjeuner.
30
Un oratoire dédié à mon vieux pote Mercure, le dieu du commerce et des voyageurs, marquait l’entrée du domaine de Caprenius Marcellus. La statue du dieu se dressait sur un pilier à flancs plats, taillé dans la roche tendre de Pompéi. Chaque matin, à dos d’âne, un esclave devait venir en renouveler la couronne de fleurs sauvages. Nous nous trouvions sur le territoire des vrais riches.
Je consultai mon neveu du regard. La perspective d’éviter une gueule de bois lui plaisait assez. Néron coupa court à mes tergiversations en s’engageant d’un air téméraire sur le chemin privé. L’ex-consul Marcellus était richissime. L’interminable allée donnait largement le temps aux visiteurs de dissimuler toute expression d’envie sur leurs visages, avant de présenter leurs respects hypocrites au maître de céans. Les passants venant mendier un verre d’eau avaient toutes les chances de mourir de déshydratation avant la porte de la cuisine. Nous traversâmes d’abord un vignoble pendant environ une lieue. Çà et là, parmi les ceps, de petits monuments abîmés par les intempéries avaient été élevés à la mémoire d’affranchis ou d’esclaves. L’allée s’élargissait pour céder la place à une véritable voie. Néron exprima sa satisfaction en levant la queue, expulsant des jets de bouse liquide dans un concert de pets. Une vaste oliveraie où s’ébattaient des oies succéda aux vignobles. La route était ensuite bordée de cyprès, et conduisait à un manège ombragé qui ne semblait pas avoir connu d’exercices d’équitation depuis un certain temps. Deux nymphes délaissées, aux draperies transformées en guenilles de pierre, paraissaient surveiller un alignement de paons topiaires qui guignaient de superbes jardins en terrasses.
Sur la pente la moins abrupte de la montagne, là où le climat était le plus agréable, s’élevaient les
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