À l'ombre des conspirateurs

monde de faire un tour de ronde avant d’aller se coucher.
    Larius me précédait dans l’escalier. Il se retourna pour murmurer pensivement :
    — Il ne peut pas avoir de petite amie dans le coin. Pas avec sa famille ici. Alors pour qui a-t-il ramassé des fleurs ?
    — Arria Silvia ? suggérai-je d’un ton neutre.
    Les progrès rapides de mon neveu ne cessaient de m’étonner. Il me regarda de côté en louchant, et le fou rire me reprit.
    Arria Silvia dormait. Entouré par la masse de ses cheveux épars sur l’oreiller, son visage paraissait cramoisi. Sa respiration profonde trahissait la satisfaction d’une femme à qui on a offert un bon dîner bien arrosé, qui est ensuite rentrée à pied en profitant de la douceur d’une belle soirée d’été… avant de bénéficier des attentions de son mari. Celui-ci n’avait pas la réputation de faire les choses à moitié. Près du lit, un gros bouquet d’églantines était planté dans un bocal ayant auparavant abrité des filets de poissons nageant dans la saumure.
    Un peu plus tard, nous entendîmes Petronius grimper l’escalier en chantonnant.

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    Tous les propriétaires de maison connaissent le tableau : un homme et un jeune adolescent sur le seuil de leur porte, venus leur vendre ce dont ils n’ont nulle besoin. S’ils ne font pas preuve d’autorité, ils se retrouvent avec de faux horoscopes, des casseroles mal soudées, voire un char d’occasion dont les extrémités des moyeux imitent l’argent – et qui, comme on le découvrira trop tard, a été mal rafistolé après un accident de la circulation qui a envoyé ses occupants chez Hadès…
    Larius et moi formions une fine équipe. Notre stock d’articles de plomberie nous ouvrait les portes des propriétés privées. Personne ne nous fit jeter dehors par des gardes. Nous explorions méthodiquement toute la côte, conduisant Néron le long de superbes allées. (Il nous arrivait de les reprendre rapidement en sens inverse, mais pas aussi souvent que je l’aurais cru.) Dans la plupart des cas, notre visite se prolongeait, tout comme notre liste de commandes. C’est pour cette raison que, de nos jours, dans la baie de Naples, pas mal de superbes villas possèdent des conduites en plomb breton. Plusieurs personnes profitèrent même de nos tarifs exceptionnels pour renouveler entièrement leurs installations.
    À vrai dire, je n’étais pas tellement surpris. Nous frappions aux portails corinthiens des riches. Leurs arrière-arrière-grands-pères avaient peut-être rempli honnêtement les coffres familiaux grâce à leurs oliveraies, ou à des récompenses pour services politiques rendus (je veux parler des butins ramenés de l’étranger), mais les générations suivantes n’hésitaient pas à marchander afin de pouvoir garder leur train de vie. Je peux en témoigner : elles n’éprouvaient aucun scrupule à acheter des marchandises de contrebande. Leur cupidité n’avait d’égale que celle de leurs majordomes. Ces vauriens arrogants se procuraient des tuyaux de plomb neufs pour des nèfles, et en facturaient le double à leurs maîtres. Au moment de passer à la caisse, ils n’en essayaient pas moins de nous escroquer en nous refilant des vieux rivets de fer et une bizarre mitraille macédonienne inutilisable.
    Après plusieurs jours sans ouvrir la bouche, Larius retrouva sa langue. Il développa même une technique de vente qui aurait pu donner à penser qu’il était né dans un panier placé sous une stalle de marché. Qui plus est, je pouvais lui faire confiance en arithmétique. Vendre des tuyaux de plomb commençait à nous plaire. Le temps était magnifique, Néron se montrait plein de bonne volonté, et il nous arrivait de nous présenter à une porte de cuisine accueillante juste au moment où on servait le déjeuner.
    Pour ce qui est des renseignements – le but de l’opération –, nous ne faisions guère de progrès. Après avoir visité toutes les villas entre Baiæ et Stabiæ, personne ne nous avait fourni la moindre information sur Crispus ou son bateau. J’avais pourtant perdu des heures à écouter des portiers arthritiques me raconter leur progression à travers la Pannonie, à l’époque où ils faisaient partie d’une légion subalterne menée par un légat syphilitique. Pendant ce temps, Larius se baladait sur les jetées pour repérer l’ Isis Africana. Ma seule crainte, c’était qu’un pêcheur à la ligne s’imagine qu’il lui faisait des