À l'ombre des conspirateurs
bâtiments d’une ferme donnant l’impression d’appartenir à la famille depuis une vingtaine de générations. Juste à côté, une magnifique villa, beaucoup plus récente, bâtie dans le joli style de la Campanie.
— On s’en contenterait, hein ? persifla mon cher neveu.
— Oui, on ne peut reprocher à l’homme d’avoir mauvais goût. Reste ici pendant que je vais jeter un coup d’œil. Si tu vois quelqu’un, siffle !
L’heure de la sieste. Le moment rêvé pour une exploration discrète des lieux. J’avais cependant l’intention de prendre un maximum de précautions. Caprenius Marcellus avait naguère occupé la fonction de consul à Rome, et la disgrâce politique fatale de son fils adoptif avait dû l’affliger au point de le rendre extrêmement susceptible.
Certain que la villa serait soigneusement barricadée, je décidai de commencer par la ferme. Une fois dans la cour, j’examinai les bâtiments qui m’entouraient. Les murs étaient faits de petits blocs de pierre grossièrement taillés. Des colombes dormaient tranquillement au soleil, perchées sur le toit recouvert de tuiles rouges ; il paraissait avoir bien supporté les siècles écoulés, en dépit d’affaissements ici et là. La partie habitation se trouvait à ma gauche. Le plus grand calme y régnait, et tout était parfaitement entretenu. L’endroit respirait la prospérité.
Je pénétrai dans l’aile opposée grâce à une porte commodément laissée ouverte. Plusieurs pièces s’alignaient le long d’un couloir. Selon les apparences, elles avaient jadis fait partie de la partie habitable, mais servaient depuis longtemps de réserve. Dans une cour intérieure, je trouvai des pressoirs pour fabriquer l’huile d’olive. Il s’en dégageait encore une merveilleuse senteur. Risquant un œil par-dessus une demi-porte barrant le bout du couloir, j’aperçus une vaste grange précédée d’une aire de battage. Un chat tout mince, au pelage moucheté, dormait tranquillement sur un sac de grains. Quelque part, un âne se mit à braire. Il me sembla aussi entendre une meule qu’on actionnait.
Je fis demi-tour et m’arrêtai devant une porte. Il me suffit de renifler discrètement pour comprendre que derrière, il devait y avoir des cuves à vin en grande quantité. Effectivement. Une bonne vingtaine d’amphores destinées au transport bloquaient pratiquement le passage, et le seuil était maculé de taches rouge sombre. La première salle où je pénétrai abritait des pressoirs en attente des prochaines vendanges. Une autre porte conduisait dans une salle encore plus vaste, où se trouvaient les cuves. Comme j’avais entendu du bruit, je frappai pour avoir l’air bien élevé.
En entrant, je fus accueilli par le joyeux spectacle des tonneaux et par une odeur capiteuse. Aucune fenêtre percée dans les murs épais, pour conserver à cet endroit sombre toute sa fraîcheur. Un reste de bougie brûlait dans une assiette rouge, sur une table de bois rugueux, au milieu de poêlons et de verres à dégustation. Des appareils rappelant ceux qu’on utilise dans un hôpital militaire étaient suspendus à des crochets plantés dans les murs. Un homme âgé, de haute taille, remplissait une énorme gourde de la réserve spéciale de l’année dernière.
— L’un des plaisirs de la vie, murmurai-je.
Il laissa le vin couler sans rien répondre. J’attendis, appuyé contre la porte, en espérant qu’il m’offrirait d’y goûter. La gourde fut bientôt pleine à ras bord. Retirant son entonnoir, il la boucha, puis se redressa et me sourit.
Dans sa jeunesse, il avait dû être l’homme le plus grand de Campanie. Les épaules voûtées par les années, il présentait un visage émacié dont la peau pâle et ridée donnait une impression de transparence. Il portait une tunique à manches longues, comme s’il avait constamment froid, mais il les avait retroussées pour travailler. Ses traits étaient entièrement dominés par un nez massif. Dommage. Il eût fait une belle figure de proue pour la trirème d’un pirate.
— Désolé de te déranger, m’excusai-je.
— Qui cherches-tu ? demanda-t-il aimablement.
Je reculai pour laisser passer le nez devant moi, et nous nous retrouvâmes bientôt tous les deux dans la cour.
— Ça dépend. Qui est à la maison ?
Son regard s’aiguisa.
— C’est pour les affaires de la ferme ?
— Non, de la famille. (Nous avions déjà traversé une grande partie de
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