À l'ombre des conspirateurs
si cela allait de soi, dut amener Silvia à deviner la vraie nature de nos relations.
— Qu’as-tu fabriqué avec ton oreille, Falco ? demanda Helena Justina, tout aussi curieuse.
— Je me suis approché trop près d’une jetée.
Tout en arrachant méthodiquement les pattes de ses crevettes, Petronius décrivit mes efforts pour me noyer. Silvia se sentit obligée d’ajouter quelques détails humoristiques.
— Tu ne sais pas nager ? demanda Helena en fronçant les sourcils.
— J’étais consigné à la caserne.
— Pourquoi ?
Je fis semblant de ne pas avoir entendu, préférant laisser les choses dans le vague, mais Petronius se fit un malin plaisir de rapporter l’histoire :
— Un tribun s’est imaginé que Marcus avait diverti sa fille.
— Et c’était vrai ? demanda-t-elle (avant d’ajouter sur un ton méprisant :) Oh ! j’en suis à peu près sûre !
— Bien sûr que oui !
— Tu es vraiment un bon copain ! maugréai-je.
Petronius Longus – un très brave type, au fond – trempa un morceau de pain dans le jus resté au fond de son bol, le fourra dans sa bouche, versa du vin à tout le monde, et laissa de l’argent sur la table pour payer sa quote-part. Puis il souleva sa fille fatiguée, et lança un clin d’œil à Helena avant de s’en aller, suivi par sa tendre épouse.
Après ce numéro prestement exécuté, je nettoyai mon propre bol lentement, tandis qu’Helena finissait le sien. Elle avait relevé ses cheveux de la manière que j’aimais : partagés au milieu et torsadés au-dessus des oreilles.
— Falco, qu’est-ce que tu regardes comme ça ?
Elle lut dans mon regard que je rassemblais mon courage pour lui chatouiller du nez le lobe de l’oreille, et je lus dans le sien qu’il valait mieux m’en abstenir.
Un sourire incontrôlable me plissa le visage. Sans doute à cause de l’expression d’Helena, qui indiquait clairement que se laisser conter fleurette par un gigolo ne faisait pas partie de ses distractions de vacances.
Je levai ma coupe et elle avala une gorgée de la sienne. Elle avait pris davantage d’eau que de vin, et y avait à peine touché.
— Tu as déjà eu ta ration à la Villa Marcella ? (Ma question abrupte la prit de court.) Ton beau-père boit beaucoup ?
— Un verre ou deux pendant les repas, pour l’aider à digérer. Pourquoi ?
— L’autre jour, sa gourde aurait convenu à des gladiateurs en train de célébrer leur victoire.
Helena Justina réfléchit quelques instants à ce que je venais de dire.
— Il aime peut-être laisser du vin à l’intention des esclaves qui servent à table.
— Peut-être !
Puisqu’il était hors de question de faire la cour à Helena, mieux valait parler affaires sans tarder davantage.
— Après un aller-retour à Nola dans la journée, tu dois être fatiguée. Qu’y avait-il de si urgent ?
Elle m’adressa un sourire las et triste.
— Falco, je dois te présenter des excuses.
— Je pense pouvoir les accepter. Alors ?
— Aufidius Crispus, cet homme détestable, est arrivé à la villa tout de suite après ton départ.
Je me servis pensivement d’un ongle comme cure-dents.
— Dans une litière surmontée d’une espèce de flèche en or, portée par des esclaves en livrée jaune safran ?
— Tu l’as croisé !
Il lui suffisait de me regarder avec ces yeux graves et cet air fautif pour que j’oublie tout.
— Tu veux bien me raconter comment les choses se sont passées ?
— Une simple visite de courtoisie, apparemment. Il serait venu voir Marcellus au sujet de son fils.
— Une visite annoncée ?
— Sans doute. C’est pour cette raison que mon beau-père a pris un déjeuner aussi rapide avec moi, afin de s’entretenir en privé avec Crispus dès son arrivée. (Helena Justina avait toujours détesté se voir exclure des conversations entre hommes.) Ils ont pris la gourde de vin, en effet. Pas grand-chose ne t’échappe.
Heureux de la flagornerie, je lui adressai un sourire béat, en me réjouissant de sa satisfaction à me berner. Elle éclata de ce rire que j’aimais tellement quand elle se rendit compte que je l’avais percée à jour.
— Ça m’étonnerait que le vieux Marcellus t’ait confié de quoi ils avaient parlé…
— Bien sûr que non. J’ai dissimulé l’intérêt que je portais à cette visite. Son seul commentaire fut que Crispus s’était montré agréable… Demande-moi plutôt pourquoi je suis
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