À l'ombre des conspirateurs
qu’à l’accoutumée.
— Évident, Falco. La Campanie, en saison estivale ! Pour un homme ambitieux, pas de meilleure occasion pour rencontrer d’une manière discrète les Romains qui comptent. La moitié des membres du Sénat passe par ici au cours de l’été…
— Oui, et Crispus peut recevoir, exercer des pressions, manipuler, sans éveiller les soupçons ! S’il offrait de telles fêtes à Rome, la moitié du Forum se demanderait ce qu’il cherche à obtenir en échange…
— Exactement.
— Ici, il passe pour un type qui profite au mieux de ses vacances, et qui fait profiter les autres de son bon cœur. (Elle se contenta d’acquiescer d’un signe de tête.) Il ne ressent pas le besoin d’entrer dans les bonnes grâces du nouvel empereur.
— Pourquoi les gens ont-ils aussi peu de respect pour les Flaviens ? s’exclama Helena Justina en tambourinant nerveusement sur la table.
— Vespasien et Titus font honneur à Rome. Il n’y a aucun scandale, rien de drôle !
— Arrête de faire l’imbécile ! dit-elle d’un ton amer. Le seul empereur décent que nous ayons connu ! Vespasien finira par être évincé, tu ne crois pas ? Sans la moindre chance de montrer ce qu’il peut faire.
— Tu te désespères trop vite. (Helena Justina était pourtant une combattante. Je recouvris de la mienne la main qu’elle avait laissée sur la table, mais elle la retira vivement.) Vraiment, ça ne te ressemble pas !
— Aufidius Crispus est puissant et perfide, avec beaucoup d’amis bien placés. Falco, tu dois l’empêcher de nuire !
— Helena ! Je ne sais même pas où il se trouve.
— Parce que tu n’essayes pas.
— Arrête de me flatter !
— Alors, dis-moi : qu’as-tu fait jusqu’à présent ? Tu profites du soleil en jouant à vendre des tuyaux de plomb. Ça te plaît sûrement de passer pour un entrepreneur ! Pour impressionner toutes les femmes qui tiennent des buvettes au bord de la route.
— Un homme a besoin de se distraire !
— Je t’en prie, Falco ! Mets un terme aux manigances de Crispus.
— C’est bien mon intention, affirmai-je.
— Si ce n’est pour l’empereur, pense au moins à ta propre carrière…
— Je me moque de ma carrière ! Je le ferai pour toi.
— Oh ! Falco ! Tu dois me confondre avec une autre. Épargne-moi les mauvais dialogues !
— Helena Justina, calme-toi. Je fais de mon mieux. « En jouant à vendre des tuyaux de plomb », je mène une enquête méthodique.
— Qui aboutit à quoi ?
— Aufidius Crispus ne va nulle part et ne voit personne, si j’en crois ce qu’on me raconte. Il semble qu’il y ait une conspiration du silence parmi les amateurs d’air marin.
Tout en parlant, je l’observais avec inquiétude. Les cosmétiques ne parvenaient pas à dissimuler la lourdeur de ses yeux. Je me risquai à lui reprendre la main.
— Qu’est-ce qui t’inquiète tellement, trésor ? (Elle arracha violemment sa main.) Helena ! Que se passe-t-il ?
— Rien.
— Oh ! mon œil ! Enfin, comme tu voudras. Quelle est la deuxième chose que tu voulais me dire ?
— Aucune importance.
— Les filles bien élevées ne se disputent pas avec les hommes qui viennent de leur offrir des langoustines !
— Ce n’était pas nécessaire ! Tes amis et toi avez pris des crevettes. Je n’aime pas être traitée différemment.
— Belle dame, je croyais qu’on devait parler de la paix de l’Empire… Raconte-moi ton histoire !
— Quand Aufidius Crispus a quitté la Villa Marcella, j’ai traversé par hasard la pièce où ils avaient discuté. Le flacon de vin était vide. Sur le plateau, il y avait trois coupes, qui avaient toutes servi.
Je réfléchis quelques instants à cette énigme.
— Crispus a peut-être amené quelqu’un avec lui ?
— Je me trouvais sur le toit en terrasse quand il est parti. Il était seul.
Une fille de sénateur qui espionnait en se penchant par-dessus les balustrades, et qui comptait les coupes !
— Pourrait-il s’agir de Barnabas ?
— J’en doute, Falco. Mon beau-père a toujours refusé de confier l’intendance de sa maison à Barnabas. Je n’ai jamais connu une vie de famille normale que pendant mes séjours chez Marcellus. Il excluait l’affranchi, et me donnait la place à laquelle j’avais droit. Il continue, d’ailleurs. Il pourrait héberger Barnabas pour le protéger, mais ne l’inviterait jamais à un entretien privé avec
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