À l'ombre des conspirateurs
continuait de jouer stoïquement.
La chaleur régnait, et nous étions tous deux vêtus fort sommairement. Dans mon rôle de professeur, je ceignais toujours une couronne de laurier, mais elle avait tendance à me glisser sur un œil quand je me penchais sur mon élève. Helena Justina, convenablement enveloppée dans plusieurs épaisseurs de tissus, arborait le plus curieux des chapeaux de soleil, aux allures de chou renversé.
Helena resta dignement appuyée à un fronton de marbre, exsudant une répugnance impériale.
— Tu m’avais caché tes talents de musicien, Falco !
— Je suis issu d’une longue lignée de gratteurs de cordes autodidactes, mais ceci n’est pas mon véritable instrument.
— Oh ! c’est quoi ? Laisse-moi deviner… La flûte de pan ? se moqua-t-elle.
Se sentant de trop, Æmilia Fausta se lança dans sa version personnelle, plutôt compassée, d’une impétueuse danse bachique.
Je les laissai entre elles pour échanger quelques commérages, après avoir attendu suffisamment longtemps pour bien souligner que c’était une décision personnelle. Dans mon alcôve de domestique, je m’efforçai de préparer la prochaine leçon de musique d’Æmilia Fausta, mais la présence d’Helena Justina dans la maison troublait ma concentration.
Un petit creux à l’estomac réclamait d’être comblé. La nourriture du cru était d’une extrême banalité, tout juste mangeable, elle était gratuite et on ne me rationnait pas. D’ailleurs, le magistrat gardait un médecin à demeure, juste au cas où.
Je redescendis dans le hall en sifflant allègrement, puisque j’étais censé faire bénéficier cette maison d’une atmosphère musicale. Dans le jardin intérieur, je pouvais entendre le bruit des cuillères de ces dames heurtant la paroi des bols. Elles n’avaient apparemment que faire de ma compagnie. Je décidai de sortir.
Dans la vie, rien n’est jamais aussi noir qu’on se l’imagine. Alors que je me dirigeais vers le portier, la main de la servante personnelle d’Æmilia Fausta écarta un rideau pour me glisser un billet.
45
Je m’arrêtai dans la rue pour déchiffrer son message.
— Tu as un air sournois !
La fille de Camillus Verus s’était brusquement matérialisée à mon côté.
— Un effet de la lumière, sans doute… (Je haussai l’épaule par-dessus laquelle elle essayait de lire, puis froissai la note et la jetai, comme si j’avais eu l’intention de le faire depuis le début.) Une servante d’Æmilia Fausta me fait une proposition que je vais être obligé de décliner.
— Oh ! quel dommage ! s’apitoya faussement Helena.
Je passai les pouces dans ma ceinture et me mis en marche. Libre à elle de m’accompagner si elle en avait envie. Ce fut le cas.
— Je nous croyais devenus des étrangers l’un pour l’autre ? Tu pourrais pas me lâcher un peu la tunique ?
— Arrête de te faire des illusions, Falco. J’étais venue voir Rufus.
— Pas de chance. Il est en train d’exposer son fabuleux profil d’Apollon au tribunal. Deux voleurs de moutons sans doute coupables, et une plainte pour diffamation qui est sûrement un coup monté : le neveu du plaignant est un jeune avocat qui a besoin de faire la preuve de son éloquence.
— Dis-moi, on dirait que tu as réussi à faire ton trou, dans cette maison… Je ne pensais pas qu’Æmilia Fausta était ton genre, osa-t-elle ajouter.
Je me gardai bien de ralentir le pas.
— Elle possède une sorte de charme fluet. Et puis j’aime les blondes. Sans compter la bonne…
— Oh ! tu risques de ne jamais la revoir, persifla Helena. Si Fausta s’est aperçue qu’elle te faisait des avances, elle l’aura vendue avant que tu sois de retour. (Je lui tendis la main pour se mettre à l’abri sous un portique, le temps de laisser passer une carriole lourdement chargée de marbre.) Cesse de perdre ton temps, Falco. Æmilia Fausta ne s’intéresse pas aux hommes frustes dotés de sourires égrillards. (Elle redescendit sur le trottoir et fonça en avant.) Elle n’aime que les patriciens pommadés, qui n’ont pas grand-chose entre les oreilles.
— Merci du conseil. Je penserai à m’asperger davantage d’eau de rose. (Je pressai le pas pour la rattraper.) Écoute, elle me fait vraiment de la peine.
— Le mieux à faire est de la laisser tranquille. La dernière chose dont elle ait besoin, c’est de te voir planté devant elle à lui faire des yeux de merlan
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