À l'ombre des conspirateurs
les jeux, les baignades, les balades en bateau à Capri et ailleurs… les baisers volés. Je m’imaginais sans peine l’effet produit sur Helena Justina jouvencelle par ce glorieux représentant de la gent masculine.
Et si c’était toujours le cas ?
L’effet du grand cru dégusté sur cette terrasse, ajouté au mauvais picrate de la prison, me procurait une agréable impression d’irresponsabilité. Je souris aux dames, puis tendis mon visage vers le soleil en tenant pieusement ma coupe de vin.
— Tu travailles pour Vespasien ? attaqua le magistrat. Qu’est-ce qui t’amène ici ?
Tablant sur le bon jugement d’Helena, je répondis franchement :
— L’empereur m’a demandé de joindre un sénateur du nom de Crispus. Je sais qu’il se trouve dans la région, mais bizarrement, personne ne l’a vu.
— Oh ! moi, je l’ai vu !
— Tu ne m’en as pas parlé !
La sœur du magistrat venait d’intervenir avec beaucoup d’impétuosité.
— Non, répondit Rufus d’un ton presque querelleur. (Je n’avais pas oublié le récit d’Helena, sur Crispus qui avait décliné la proposition de mariage d’Æmilia Fausta. Cela pouvait être considéré comme une insulte par la famille, et son frère avait toutes les raisons d’être agacé par l’intérêt qu’elle semblait toujours lui porter. Il se retourna vers moi.) Aufidius Crispus m’a contacté récemment. Nous nous sommes rencontrés aux thermes de Stabiæ.
— Il tenait à te voir pour une raison particulière ?
— Non, répondit le magistrat d’un ton égal. Il n’avait rien de spécial à me dire.
— C’est un de tes meilleurs amis ?
— Un ami, sans plus.
— Je n’ai pas l’intention de me mêler de ce qui ne me regarde pas, affirmai-je avec un grand sourire, mais les unions projetées entre personnes de haut rang sont des événements publics.
Pourvu moi-même de sœurs, je compatissais sincèrement. En outre, je commençais à avoir très chaud et à me sentir ivre. Il se raidit, puis finit par admettre :
— Ma sœur a subi une déception. Il faudra lui trouver des activités pour compenser. Elle espérait prendre des leçons de musique cet été, mais je n’ai pas encore trouvé de professeur de cithare…
— Quel manque de chance ! murmurai-je innocemment.
— J’ai cru comprendre que tu avais des tas de talents, Falco. La cithare en fait partie ?
Je jetai un regard pensif à sa sœur, en dissimulant le pessimisme qui montait en moi. Æmilia Fausta arborait une expression défaitiste que personne n’aurait cherché à lui reprocher. Ce ne devait pas être facile tous les jours d’être la sœur banale d’une œuvre d’art exceptionnelle. Il devait capter l’attention partout où ils se rendaient ensemble. Elle allait bien avec leur maison pleine d’antiquités soigneusement ordonnées : un peu comme une vieille statue grecque isolée dans un coin, qui a accumulé la poussière au cours des années. L’envie de donner du plaisir aux autres l’avait quittée, sans que ce soit vraiment de sa faute. Elle portait des robes couleur de pierres de deuxième catégorie : le jaune sale de la tourmaline, et ce vert olive si triste que les joailliers appellent le péridot. Elle essayait de dissimuler son teint maladif sous des cosmétiques, mais son maquillage craquelé au soleil lui faisait un masque de poupée. Même ici, sur cette terrasse élevée où soufflait une légère brise, pas un seul de ses cheveux d’un terne ton de miel ne s’échappait de sa coiffure.
Ce n’en était pas moins une jeune femme, qui n’avait probablement pas fêté ses 25 ans. Trop âgée, cependant, pour rester célibataire sans une bonne raison. Son frère avait accaparé toute la beauté destinée à la famille, mais elle devait être bien éduquée et riche. Si jamais elle se décidait à sourire un jour, elle pourrait peut-être attirer l’attention d’un homme ayant l’esprit libre à ce moment-là. Oui, cette Æmilia pouvait être transformée en quelque chose de modérément appétissant.
Et puis, cette offre avait tellement l’air d’ennuyer Helena Justina que je m’empressai de l’accepter.
44
J’avais autre chose à faire que de m’attarder avec une femme qui se contenterait de me dire « adieu ! ». Je commençai par aller à la prison faire libérer Larius. Après l’avoir emmené dans une gargote, nous allâmes tous les deux chercher l’ignominieux bœuf de Petro. Néron
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