Abdallah le cruel
coups de fouet dans
l’espoir que cette punition l’assagirait.
Honteux d’avoir subi ce châtiment
infamant pour un homme de son rang, Omar Ibn Hafsun décida de s’expatrier et
s’installa à Tahart [49] où vivait une importante communauté andalouse. Privé de ressources, il gagna sa
vie en travaillant chez un tailleur. De passage dans son nouveau lieu de
résidence, un habitant de Takarona le reconnut et s’exclama en le voyant :
« Ah malheureux ! Tu luttes pour échapper à la pauvreté et tu
travailles ici avec une aiguille ! Regagne tes terres : tu seras le
maître des Omeyyades car tu les conduiras sûrement à leur perte et tu deviendras
le souverain d’un grand royaume. » D’un naturel méfiant, le jeune homme
crut que son interlocuteur lui tendait un piège et qu’il lui avait été envoyé
par l’émir de Tahart qui entretenait d’excellents rapports avec Mohammad et
Hashim Ibn Abd al-Aziz. Ne se sentant plus en sécurité, il décida de quitter la
ville et de partir se réfugier chez l’un de ses oncles, puisque son père
refusait toujours de le recevoir.
Le transport des voyageurs et des
marchandises entre le port de Tenès et celui d’al-Mariya [50] où il pourrait
débarquer sans être arrêté par les autorités était assuré par des marins
andalous. Reste qu’il n’avait pas la somme suffisante pour payer son passage à
bord d’un navire. L’un de ses clients, pour lequel il avait cousu une tunique
d’apparat, ému au récit de ses mésaventures, accepta de l’aider. Judah Ben
Kuraish était un vieux Juif, un grammairien réputé pour son érudition et sa
parfaite maîtrise de l’hébreu et de l’arabe. Il y mit toutefois une
condition : il demanda à Omar de transmettre à ses coreligionnaires
d’Ishbaniyah une lettre rédigée par l’un de ses invités du moment, un certain
Eldad Ben Mahli al-Dani. Ibn Hafsun avait rencontré ce curieux personnage, à la
peau si foncée qu’on le prenait, de prime abord, pour un Éthiopien. Il
prétendait descendre de la tribu perdue de Dan qui vivait sous l’autorité d’un
roi juif, dans les montagnes du pays de Koush [51] .
Muni de lettres de recommandation signées par des rabbins prestigieux, il
allait de communauté juive en communauté juive pour annoncer à ses frères que
l’heure de leur délivrance était proche.
Omar Ibn Hafsun ne refusa pas cette
offre. Après tout, il pourrait tirer profit de sa rencontre avec de riches
Juifs qui, satisfaits du message dont il était le porteur, récompenseraient
généreusement son zèle. Il exigea toutefois que Judah Ben Kuraish traduise pour
lui le contenu de la missive. Il voulait être sûr qu’il ne s’agissait pas d’un
complot ourdi par les dhimmis contre les Musulmans. Le vieillard ne prit pas
ombrage de cette requête :
— Tu es d’un naturel
soupçonneux. À mes yeux, c’est plus une qualité qu’un défaut. Tes craintes sont
cependant sans fondement. Crois-tu que les Israélites conspirent pour secouer
le joug des Ismaélites ? Nous mesurons la différence de traitement qui
existe entre ce que nous vivons et ce que subissent nos frères qui ont le
malheur d’endurer l’oppression d’Edom [52] .
Loin de nous l’idée de vouloir changer de maîtres. C’est une décision qui
n’appartient qu’à Dieu ! Néanmoins, pour calmer tes appréhensions, voilà
ce qu’écrit Eldad :
Aux très sages et très illustres
docteurs de la Loi qui habitent la contrée de Sefarad [53] et aux chefs de
leurs communautés, Réjouissez-vous car le Rocher d’Israël a eu pitié de son
peuple. Il ne dort ni ne sommeille Celui qui veille sur nous comme il a veillé
sur nos pères Abraham, Isaac et Jacob. Je suis Eldad, de la tribu de Dan.
Longtemps, mes frères et ceux des tribus de Menasse, de Ruben, d’Issachar, de
Nephtali, de Gad, de Zébulon et d’Asher ont cru que nous étions les seuls
rameaux subsistants d’Israël. Les hasards de mon existence m’ont conduit
jusqu’en Egypte et en Babylonie où j’ai pu constater avec joie que ces pays
abritent de saintes communautés dirigées par des hommes de savoir dont les
pères avaient échappé à la destruction du Temple.
Avant de retourner porter cette
bonne nouvelle aux miens, j’ai décidé de visiter tous les endroits où vivent
les affligés de Sion afin d’apprendre auprès d’eux les lois et usages qu’ils
suivent. Nos frères de Kairouan et de Tahart m’ont parlé de la splendeur et de
la
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