Abdallah le cruel
fait prisonnier avec sa femme et ses filles et conduit à Kurtuba où il fut
reçu avec tous les honneurs dus à son rang [43] .
Les généraux vainqueurs furent félicités par l’émir. Toutefois, Ibn Marwan,
loin d’accueillir joyeusement ces compliments, protesta hautement contre la
mauvaise qualité du pain fourni à ses hommes. Se tournant vers Hashim Ibn Abd
al-Aziz, il l’apostropha :
— Ta cupidité te pousse à faire
des économies sur tout afin d’augmenter ta fortune. J’admire nos soldats
d’avoir combattu courageusement alors qu’ils avaient le ventre vide. Les
convois de ravitaillement envoyés par tes soins étaient insuffisants et un
chien n’aurait pas voulu de leur contenu. Tu es un voleur et un escroc et tu as
failli compromettre les chances de notre expédition.
Fou de rage, le favori gifla
l’insolent qui, sitôt rentré chez lui, réunit ses principaux conseillers pour
se réfugier dans l’une de ses places fortes, le Hisn al-Hanash [44] , située non loin de
Marida. Mohammad vint l’y assiéger et Ibn Marwan négocia son pardon. Il fut
nommé wali de la nouvelle cité de Batalyaws [45] à condition de livrer en otage son petit-fils. L’année suivante, il apprit
qu’il était destitué de cette charge et inculpé à tort de haute trahison. En
fait, cette accusation avait été forgée contre lui par Hashim Ibn Abd al-Aziz,
qui lui vouait une haine farouche et avait persuadé l’émir de l’envoyer mettre
à la raison ce « chien de muwallad ». Ibn Marwan s’allia donc avec un
autre muwallad, Sado’un Ibn Fath al-Surubbaki, qu’il envoya solliciter l’aide
du souverain asturien Alphonse III. Sans attendre cependant l’arrivée des
renforts, il se porta au-devant de l’adversaire et l’écrasa sous les murs de
Karkar [46] .
Humiliation suprême, le favori de l’émir, Hashim Ibn Abd al-Aziz, fut fait
prisonnier et envoyé à Oviedo où il passa deux longues années dans un cachot
humide jusqu’à ce qu’il accepte de payer une énorme rançon de cent mille
dinars. N’ayant pu réunir la totalité de la somme, il dut, pour retrouver sa
liberté, laisser en otages ses deux frères, son fils et son neveu. De retour à
Kurtuba, il leva aussitôt une armée et chassa de son repaire Ibn Marwan,
contraint de se réfugier chez Alphonse III.
Inquiet de cette alliance entre un
muwallad et les Chrétiens, Mohammad, qui redoutait une invasion de ses domaines
par la mer, fit construire à la hâte une flotte qu’il plaça sous le
commandement de l’amiral Abd al-Hamid Ibn Mughit al-Rua’li. C’était là une
dépense inutile car, l’année suivante, l’escadre ainsi constituée, forte de
soixante navires, coula au mouillage lors d’une violente tempête.
La dissidence d’Ibn Marwan Ibn
Djilliki et les conséquences de la terrible famine qui avait frappé al-Andalous
marquèrent un tournant important dans l’histoire du pays. Outre l’insécurité
grandissante due à l’apparition de bandes de brigands, de nombreux chefs arabes
et berbères brandirent, avec plus ou moins de succès, l’étendard de la révolte
contre l’émir et le royaume commença à se désintégrer de toutes parts. C’est
dans ce contexte troublé qu’Omar Ibn Hafsun fit son apparition. Il allait, des
décennies durant, devenir, ainsi qu’il aimait à le dire, le « cauchemar
des Omeyyades ». Son père était un seigneur muwallad de la région d’Auta [47] ,
descendant d’un comte wisigoth nommé Alphonse, dont le petit-fils s’était converti
à l’islam sous le règne d’al-Hakam I er et avait pris le nom de
Djaffar al-Islami. La famille Ibn Hafsun possédait d’immenses domaines dans la
région de Takarona [48] et entretenait de bons rapports avec le pouvoir central. Omar, qui avait reçu,
tout comme ses frères, Aiyub et Djaffar, une éducation soignée, était réputé
pour son caractère violent. Il ne tolérait pas qu’on lui tienne tête et
égorgea, pour un motif futile, un de ses voisins. Affolé, son père paya à la
famille de la victime – des nobles arabes – une grosse somme d’argent
à titre de réparation et chassa son fils de sa demeure. Omar se réfugia dans
les montagnes autour de Takarona, recruta des valets de ferme et sema la
terreur dans la région, pillant les fermes et attaquant les caravanes des
marchands. Excédé, le gouverneur de Malaka le fit arrêter et, ignorant tout du
meurtre qu’il avait commis, le condamna à recevoir trente
Weitere Kostenlose Bücher