Abdallah le cruel
présenter nos
respects. Pardonne à nos frères arabes leur insolence. Elle n’est pas dirigée
contre toi, mais contre nous. Nous sommes des muwalladun et ils nous
considèrent comme des dhimmis. Je ne méconnais pas que nos ancêtres étaient
Chrétiens. Les leurs furent, à en croire le saint Coran, idolâtres. Mon
arrière-grand-père s’est converti dès l’arrivée de Tarik Ibn Zyad et son
exemple a été suivi par beaucoup d’autres. Nous sommes de bons Musulmans.
— Je n’en doute pas un seul
instant.
— Je t’en remercie. Je te l’ai
dit ; nous observons les préceptes du Coran. Eux sont arabes et nous
rappellent constamment qu’ils ont conquis le royaume de nos pères. Ils oublient
que c’était pour apporter jusqu’aux confins du monde connu la révélation faite
par Dieu au Prophète, sur Lui la bénédiction et la paix. Je ne crois pas
qu’Allah le Tout-Puissant et le Miséricordieux ait jamais voulu qu’on établisse
des distinctions entre ses fidèles en fonction de leurs origines. Nous sommes
tous égaux devant Lui. Or les Arabes et les Berbères de cette ville ne
l’entendent pas ainsi. Ils ne nous autorisent pas à venir prier dans leurs
mosquées et s’abstiennent de se rendre dans les nôtres. Ils occupent toutes les
charges honorifiques et ne nous laissent que celles qui obligent leurs
détenteurs à de lourdes dépenses. Pourtant, ils sont quelques centaines à peine
et nous sommes cinquante fois plus nombreux. Cette tyrannie nous est devenue
insupportable et nous demandons que tu y mettes fin.
— Mes prédécesseurs n’ont-ils
rien fait ?
— Ils étaient arabes.
— Je le suis aussi.
— D’après ce que nous savons de
toi, tu es un homme sage et avisé, soucieux du bien du royaume et de ses
sujets. Tu comprendras vite où se trouve ton intérêt.
Le lendemain, Mousa Ibn al-Aziz Ibn
al-Thalaba reçut les principaux chefs arabes, Abdallah et Ibrahim Ibn Hadjdjadj
ainsi que Kuraib et Walid Ibn Khaldun [76] .
Il s’était renseigné sur eux et avait appris qu’ils se targuaient d’appartenir
à des lignages prestigieux. Les Ibn Hadjdjadj, de loin les plus fortunés,
prétendaient descendre de l’illustre tribu de Lakhm, l’une des premières à
avoir reconnu l’autorité du Prophète. Les seconds, originaires de l’Hadramouth,
possédaient d’immenses domaines dans le Sharaf [77] ,
les collines boisées entourant la cité, où ils exploitaient des figuiers et des
oliviers. Ils séjournaient rarement en ville, préférant le luxe de leurs
résidences campagnardes.
Ibrahim Ibn Hadjdjadj prit la parole
en leur nom :
— Je souhaite que tu châties
ces maudits muwalladun qui ont manqué aux règles les plus élémentaires de la
courtoisie en ne respectant pas l’ordre des préséances voulu par la tradition.
Nous aurions pu punir leur insolence mais c’eût été empiéter sur tes pouvoirs.
Nous sommes sincèrement désolés de l’humiliation qu’ils t’ont fait subir à toi,
un Arabe, représentant de l’émir. Ce sont des mécréants et des rebelles qu’il
te faudra surveiller de près. N’oublie pas que certains de leurs parents sont
restés Chrétiens et que les liens du sang comptent plus à leurs yeux que ceux
de la foi. Ils n’ont jamais cessé de nous considérer comme des envahisseurs et
rêvent de nous chasser d’al-Andalous pour revenir à leurs croyances maudites.
— Je te remercie de ces
précieuses informations. Elles sont puisées à la meilleure source. Vois-tu,
Ibrahim, je me suis renseigné sur toi avant de quitter Kurtuba. Tu comptes au
nombre de tes ancêtres une princesse wisigothe, Sara, fille d’Olmondo et
petite-fille du roi Witiza. À la mort de son père, elle a été spoliée de son
héritage par son oncle Ardabast. Elle est partie pour Damas demander réparation
et y a épousé Isa Muzahim. De retour à Ishbiliyah après son veuvage, elle s’est
remariée, sur les conseils d’Abd al-Rahman I er , avec l’un de
ses généraux, Omar Ibn Saïd, dont elle a eu un fils, Habib, le grand-père de
ton grand-père.
Ibrahim Ibn Hadjdjadj pâlit. Il
n’aimait pas qu’on évoque devant lui cette période de l’histoire des siens et
tenta de s’expliquer :
— Cela prouve simplement qu’une
princesse de sang royal trouvait honorable d’entrer dans une famille dont la
noblesse égalait la sienne.
— J’en suis bien conscient et
je me garde d’accorder crédit à ceux qui prétendent que tu avais, toi aussi,
Weitere Kostenlose Bücher