Abdallah le cruel
de
chenapans de son âge. D’ordinaire, il revenait, penaud, solliciter son pardon.
Cette fois-ci, je crains fort qu’il ne se livre à de terribles excès.
— Tout cela parce que j’ai eu
le malheur de ne pas le remarquer !
— Je sais bien que tu ne l’as
pas vu à temps. C’est un prétexte. En fait, il doit de très grosses sommes
d’argent à Omar Ibn Kellab Ibn Angelino et il est dans l’incapacité de le
rembourser. Note bien que le muwallad a eu le tact de ne pas les réclamer et je
sais qu’il se gardera bien d’attiser l’incendie qui couve. S’il le fallait,
d’ailleurs, je me porterais garant de Kuraib et acquitterais ses dettes.
— Je le croyais pourtant très
riche.
— Il possède d’immenses
domaines. Toutefois, il s’est laissé gruger par des intendants véreux qui ont
gardé pour eux l’argent de ses récoltes. Dieu seul sait où ils se trouvent
aujourd’hui. Pour faire face à ses dépenses, mon frère a dû emprunter de
l’argent.
— Tout rentrera dans l’ordre si
tu acceptes de l’aider.
— Je n’en suis pas sûr. Il a
réuni chez lui les chefs des clans arabes les plus fanatiques et je les
soupçonne de préparer un mauvais coup.
De fait, quelques semaines plus
tard, Ishbiliyah vit arriver des cortèges misérables de paysans muwalladun
chassés de leurs villages par Kuraib Ibn Khaldun et ses comparses. Ils avaient
brûlé les fermes et les mosquées, coupé les arbres fruitiers et saccagé les
cultures. Ce n’était là qu’un début. Les rebelles dévastèrent les Faubourgs de
la ville. Fou de rage, le wali décida d’effectuer une sortie avec la garnison,
en dépit des conseils de prudence de ses officiers qui n’étaient pas sûrs de la
loyauté de leurs hommes. De plus, ils se méfiaient surtout de lui car il
n’avait aucune expérience militaire et aurait affaire à des guerriers valeureux
et rusés. Il eut le tort de ne pas les écouter. Près d’al-Balat, il tomba dans
une embuscade et trouva la mort, atteint d’une flèche dans le cou. Les
survivants de son détachement regagnèrent péniblement la cité dont les portes
furent fermées. Les notables, paniqués, se rassemblèrent et discutèrent, des
heures durant, de la conduite à tenir. Finalement, l’un d’entre eux, le
muwallad Mohammad Ibn Ghalib offrit de se rendre à Kurtuba pour annoncer la
mort du wali et solliciter l’intervention de l’émir.
Dès son arrivée dans la capitale, il
fut reçu par Abdallah :
— Noble seigneur, tes loyaux
sujets sont terrorisés par une bande de pillards et de soudards de la pire
espèce. Envoie-nous des renforts et ces chiens seront châtiés comme ils le
méritent.
— C’est mon vœu le plus ardent.
Malheureusement, je ne dispose pas d’hommes en nombre suffisant. Mes meilleurs
généraux traquent Omar Ibn Hafsun et ses complices. Le reste de l’armée a été
envoyé au nord car je crains une attaque des Chrétiens. Pour assurer ma propre
sécurité, je n’ai que les Muets.
— Tu peux faire appel aux
quinze mille volontaires que Kurtuba s’est engagé à fournir en échange de
l’abrogation de la conscription obligatoire.
— Ils refuseront de venir à
votre secours. Les habitants de vos deux villes se détestent. Les négociants et
les artisans de Kurtuba espèrent bien profiter de vos difficultés et ils ne
bougeront pas.
— Dans ces conditions,
m’autorises-tu à lever une milice privée ? Je l’installerai au château de
Sant Tirso [79] .
Avec mes hommes, je serai en mesure de battre la campagne et de réduire, les
unes après les autres, les bandes rebelles.
— Une telle initiative risque
de me poser des problèmes par la suite : que se passera-t-il si mes sujets
se croient permis de lever des armées ?
— Reconnais que, dans ce cas,
il s’agit d’une question de vie ou de mort.
L’émir réfléchit et consentit à
donner son accord. Mohammad Ibn Ghalib regagna Ishbiliyah et mit à exécution
son plan. Il parvint à rétablir la sécurité et cet exploit lui valut une grande
popularité auprès de ses frères muwalladun. Ces derniers relevèrent la tête et
multiplièrent les provocations contre les Arabes. Quand ceux-ci circulaient
dans les rues ou se rendaient dans les bâtiments publics, le petit peuple les
abreuvait de moqueries ou leur jetait des fruits pourris. Des tas d’ordures
étaient déposés, la nuit, devant leurs demeures. Resté jusque-là impassible,
Walid Ibn Khaldun demanda à Ibrahim
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