Abdallah le cruel
muwallad avait osé tuer un Arabe ! C’était
un crime épouvantable et ils envoyèrent une délégation à Kurtuba réclamer à
l’émir le prix du sang. Kuraib Ibn Khaldun adopta l’attitude mielleuse des
courtisans et protesta hautement de sa loyauté à l’égard d’Abdallah. D’un ton
doucereux, il expliqua qu’il était prêt à faire la paix avec Mohammad Ibn
Ghalib si ce dernier, à titre de compensation, lui versait plusieurs milliers
de pièces d’argent. Or c’était, au dirhem près, la somme qu’il devait à Omar
Ibn Kellab Ibn Angelino. Celui-ci s’était également rendu dans la capitale pour
plaider la cause de ses semblables et se déclara favorable à ce compromis, à
condition que l’indemnité lui soit directement versée pour éteindre la dette de
son adversaire. Il exhiba, devant le monarque, les reconnaissances signées par
Kuraib Ibn Khaldun et expliqua que la fameuse créance était la véritable et
seule cause de toute l’agitation. Une fois ce litige financier réglé, tout
rentrerait dans l’ordre. En maugréant, Kuraib Ibn Khaldun donna son accord,
formulant toutefois une exigence supplémentaire. Il souhaitait que le prince
héritier, Mohammad, se rende à Ishbiliyah pour enquêter sur la situation dans
cette ville et pour y installer le nouveau wali, Umaiya Ibn Abd al-Ghafir
al-Khalidi.
Kuraib Ibn Khaldun n’était pas
mécontent de cette nomination. En effet, Djad, le frère du gouverneur arabe, se
trouvait toujours détenu en otage par Omar Ibn Hafsun qui l’avait capturé après
avoir infligé une défaite aux Arabes de Granata. Compte tenu de cette
situation, il ne devait pas apprécier particulièrement les muwalladun et il
serait facile de le circonvenir. Ishbiliyah réserva un accueil triomphal à
Mohammad. Bel homme, habillé avec recherche, d’un naturel affable et
conciliant, le prince héritier était un bon soldat et un fin diplomate. Plutôt
que de s’installer dans le palais mis à sa disposition, il choisit d’habiter
tantôt chez les Banu Khaldun ou chez les Banu Hadjdjadj, tantôt chez les Banu
Savarino ou chez les Banu Angelino, montrant de la sorte qu’il ne faisait
aucune différence envers ses sujets. Il poussa même l’audace jusqu’à accepter
l’hospitalité, pour une nuit, de l’évêque et du chef de la communauté juive.
Quant au nouveau wali, Umaiya Ibn Abd al-Ghafir al-Khalidi, il entreprit de
rétablir l’ordre avec l’aide des troupes qu’il avait amenées avec lui de
Kurtuba. Loin d’être aussi populaire que Mohammad, cet homme était un intrigant
de la pire espèce qui modelait son attitude en fonction de son interlocuteur.
S’il ne cachait pas aux dignitaires arabes qu’il partageait leur point de vue,
dans le même temps, il expliquait aux notables muwalladun qu’il les tenait pour
de bons Musulmans et qu’ils pouvaient compter sur son appui discret. Il poussa
même l’hypocrisie jusqu’à rendre visite à Mohammad Ibn Ghalib à Sant Tirso où
il passa plusieurs jours, s’adonnant à son activité préférée, la chasse.
Furieux, Kuraib Ibn Khaldun quitta
Ishbiliyah et s’empara d’une forteresse située en amont du fleuve. De là, il
partit attaquer une propriété appartenant à un prince omeyyade, ramenant pour
butin cent juments et deux cents vaches. Quant à Abdallah Ibn Hadjdjadj, il
prit le contrôle de Karmuna dont il chassa le wali et imposa aux muwalladun de
cette localité une lourde amende sous un fallacieux prétexte. Inquiet de cette
détérioration de la situation, Mohammad fit parvenir à son père un long rapport
dans lequel il dénonçait la duplicité des notables arabes et les manœuvres
d’Umaiya Ibn Abd al-Ghafir al-Khalidi, qui ruinaient tous ses efforts. En
recevant ce courrier, l’émir entra dans une violente colère et convoqua ses
principaux conseillers, les généraux Abd al-Malik Ibn Umaiya et Ubaid Allah Ibn
Mohammad Ibn Abi Ibn Abda, ainsi que le hadjib Abd al-Rahman Ibn Umaiya Ibn
Shuhaid. Fou de rage, il leur déclara :
— Je ne tolérerai pas de voir
mon autorité bafouée un jour de plus. Mon fils est un idiot. Il croit qu’on
peut gouverner le peuple avec des sourires et de bonnes paroles. En acceptant
l’hospitalité des muwalladun, il a provoqué la colère des Arabes et je les
comprends. Imaginez ce qui se passerait si je nommais comme cadi de la grande
mosquée le descendant d’un de ces convertis ! J’ai déjà eu assez de mal à
leur faire accepter que
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